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Dépistage des porteurs de la maladie de GaucherPlus de mal que de bien?
Ernest Beutler, MD
Un chaud jour d'été il y a 30 ans, mon assistante au
laboratoire et collaboratrice, Wanda Kuhl, me montra des résultats
inhabituels. Notre laboratoire avait conçu une méthode facile
pour mesurer l'activité de la glucocérébrosidase dans les
globules blancs sanguins et avait effectué des études familiales
pour déterminer l'efficacité de cette technique pour
détecter la maladie de Gaucher chez les hétérozygotes.
Mais elle me montrait un échantillon d'un hétérozygote
obligatoire, la mère d'un patient ayant une maladie de Gaucher, chez
laquelle la fourchette de l'activité enzymatique était faible
chez un patient. Un examen de la moelle osseuse chez cette femme
asymptomatique de 72 ans confirmait qu'elle avait une maladie de Gaucher.1 La
découverte d'une maladie de Gaucher chez une personne
âgée, asymptomatique n'était certes pas unique—la
maladie ayant été précédemment
détectée chez ces personnes, y compris une personne
âgée de 86 ans. 2 Toutefois, de nombreuses personnes homozygotes
pour la mutation N370S associée à la maladie de Gaucher ne sont
jamais diagnostiquées; en se basant sur la différence entre la
fréquence hétérozygote et le nombre de patients
diagnostiqués, on estime que 60% de ces homozygotes peuvent ne pas
être diagnostiqués.
3
C'est le dilemme auxquels Zuckerman et collaborateurs font face 4 dans leur
évaluation par dépistage prénatal de la maladie de
Gaucher rapportée dans ce numéro du JAMA. Parmi les 28 893
personnes dépistées dans un centre génétique
israëlien, 82 couples avaient un risque de descendance atteinte de
maladie de Gaucher de type 1, dont 70 (85%) avaient un risque d'atteinte
asymptomatique à légère dans leur descendance et 12 (15%)
un risque d'atteinte modérée. A la suite d'un diagnostic
prénatal dans 68 grossesses, 16 foetus ont été
détecté avec la maladie de Gaucher. Parmi ces grossesses, 2 sur
13 (15%) impliquant des foetus homozygotes N370S et 2 sur 3 (67%) des foetus
hétérozygotes avaient été interrompues. La
mère de mon patient avec maladie de Gaucher aurait été
conçue en Israël au cours de ce siècle, plutôt que
dans les années 60, elle aurait pu ne pas naître. Ses parents
auraient été informés que le foetus porté par la
mère avait la maladie de Gaucher, et ils auraient pu choisir
d'interrompre la grossesse.
L'expression clinique de la maladie de Gaucher, comme celle de presque
toutes les maladies à gène unique, varie
énormément.5
Les médecins se souviennent des patients ayant des manifestations
cliniques sévères, les patients qui cherchent des soins. On
oublie souvent les patients qui ne sont pas diagnostiqués car ils n'ont
pas de symptômes du trouble. Dans la majorité des maladies
à gène unique, les praticiens et les chercheurs
généticiens n'ont pas d'indice sur la cause de la
variabilité phénotypique et donc n'ont aucun moyen pour informer
les futurs parents sur la sévérité de l'atteinte de leur
enfant ou sur l'absence d'atteinte.
Le dépistage des nouveau-nés a commencé il y a plus de
45 ans avec l'introduction du test d'inhibition microbienne pour la
phénylalanine
6 dans le
dépistage de la phénykétonurie. La mise sous
régime sans phénylalanine des enfants à temps a
grandement amélioré le retard mental qui est le signe majeur de
la phénylkétonurie. Ceci a été vite suivi par le
dépistage des nouveau-nés atteints de galactosémie,
7 permettant
un traitement précoce et une prévention de l'incidence
élevée de la mortalité néo-natale chez les
nourrissons atteints de galactosémie. Avant la mise en place du
dépistage, les nourrissons qui survivaient sous traitement,
étaient en général traités trop tard pour
éviter le développement de cataracte, de cirrhose et de retard
mental. Ultérieurement, une autre approche de dépistage a
été introduite, l'examen des parents ayant un statut de porteur,
comme dans la maladie de Tay-Sachs, leur donnant le choix après
diagnostic prénatal d'interrompre la grossesse.
Bien qu'il y ait une variation phénotypique dans ces maladies
génétiques sévères, cela va de mal en pis,
plutôt que de mal à normal comme dans la maladie de Gaucher. Par
exemple, la galactosémie
9 et la
phénylkétonurie chez les adultes qui n'ont jamais
été traités sont rares et associées à un
retard
mental.10 La
maladie de Tay-Sachs, autrefois connue par le nom de "idiotie familiale
amaurotique,"
11 est
actuellement incurable et entraîne le décès après
les premières années de la vie. Même ces programmes de
dépistage relativement directs ne se font pas sans difficultés.
Un problème a apparu avec la découverte que certains adultes
normaux n'avaient pas d'activité sérique de la hexosaminidase.
12,13
Bien que ce phénotype soit rare, si ces personnes avaient
été dépistées au cours de la vie fœtale
à la suite d'un programme de dépistage, elles auraient eu une
plus grande probabilité d'avoir eu un avortement. Certains enfants qui
ont une hyperphénylalanémie due à des mutations de
gènes autres que la phénylalanine
hydroxylase14
peuvent ne pas avoir besoin de traitement.
En général, toutefois, les analyses
coût-bénéfices de ces maladies ne sont pas
tout-à-fait claires. Le coût du dépistage et du conseil
peut être évalué et la dépense associée
à chaque cas qui a été découvert peut être
déterminée. Sur la base de ces estimations des économies
potentielles pour la société, on conclut
généralement que le dépistage de ces troubles
était utile et rentable. La raison pour laquelle ces programmes sont si
efficaces est que la pénétrance clinique de ces maladies pour
lesquelles un dépistage a été réalisé est
très élevée.
Le succès de ces programmes de dépistage s'est étendu
à de nombreux autres. Dans certains caqs, le phénotype cible de
la maladie est uniformément sévère, mais dans d'autres,
comme dans la maladie de Gaucher, l'hémochromatose
héréditaire et la déficience en glucose-6-phosphate
déshydrogénase (G6PD), de nombreux ou la plupart des patients ne
développent pas de maladie clinique due à la mutation. Il semble
qu'il y ait deux raisons à la prolifération de ces programmes:
une économique et l'autre, altruiste. Il existe peu de doute que
l'espoir ou la réalité que le dépistage des
nouveau-nés entraînera des profits, soit pour l'institution
médicale dans laquelle le dépistage est réalisé ou
pour le vendeur qui fournit le matériel, est une force majeure. Dans
certaines de ces compagnies, ce profit issu du traitement des maladies
détectées, est aussi un motif d'encourager le dépistage.
L'autre motivation semble se baser sur la philosophie d'informer les patients
sur leur état de santé et sur celui de leur descendance a toute
probabilité « d'être une bonne chose ».
Toutefois, le dépistage des mutations à faible
pénétrance peut ne pas être nécessairement une
« bonne chose » et est associé à des
problèmes importants. Même, le conseiller
généticien ou le médecin spécialiste le plus
informé font face à un dilemme terrible en essayant d'expliquer
le pronostic probable à une femme qui porte un fœtus ayant un
génotype relativement bénin homozygote N370S pour la maladie de
Gaucher. Certains de ces enfants peuvent développer une
splénomégalie, une pancytopénie, une maladie osseuse ou
les trois. D'autres peuvent vivre jusqu'à 80 ans sans trouble. Bien que
Zuckerman et al
4 divisent
correctement les génotypes en formes asymptomatiques,
légères ou modérées, ils sont tout à fait
conscients du fait qu'il existe un croisement majeur dans les
phénotypes de la maladie observée dans ces groupes. Ainsi, nous
avons étudié
15,16
un homme de 65 ans ayant un génotype modéré N370S/84GG
avec un score de sévérité léger à 4 pour la
maladie, et nous avons aussi rencontré des patients qui étaient
pareillement légèrement affectés par des génotypes
N370S/L444P. Il existe de nombreux patients avec un génotype homozygote
asymptomatique ou léger N370S qui ont une maladie plus
sévère à des âges plus précoces.
Essayer d'analyser les coûts et bénéfices d'un
programme de dépistage de la maladie de Gaucher est beaucoup plus
complexe que de le faire pour des troubles sévères, de
pénétrance élevée. Quel est le prix pour la
souffrance des parents d'un fœtus diagnostiqué comme étant
homozygote pour le génotype N370S? Jusqu'à quel point le
développement psychologique d'un enfant porteur des stigmates de ce
génotype est-il atteint? Ses parents le protégeront-ils sans
nécessité et lui permettront-ils de participer à des
sports de contact lorsque ses amis seront choisis dans l'équipe?
Combien de millions de dollars seront dépensés sur des
traitements enzymatiques substitutifs inutiles chez les enfants qui sont
destinés à ne jamais développer de maladie clinique?
Zuckerman et al 4 soulignent que l'Association israelienne des
généticiens s'est prononcée contre le dépistage de
la maladie de Gaucher, probablement pour ces raisons. Il est évident
que cette recommandation n'a pas eu beaucoup d'effet en Israël. Les
forces de compensation énumérées ci-dessus peuvent
être trop puissantes.
Aujourd'hui, d'importantes sommes d'argent sont dépensées
pour mener des recherches génomiques complètes pour des
mutations qui modifient le risque de maladie. Bien que ces efforts produiront
certaines réponses et aideront à la découverte de
modificateurs de gènes, la récolte sera probablement maigre.
Bien qu'il y ait probablement des modificateurs de genes à
découvrir, les réponses majeures viendront probablement
d'interactions environnementales ou génétiques, et, plus
important, des différences épigénétiques entre des
personnes génétiquement identiques. Ceci est vrai non seulement
en raison de l'échec pour trouver des gènes modificateurs
majeurs dans la majorité des cas mais aussi en raison de jumeaux
indentiques ayant des évolutions cliniques très
différentes pour la maladie de Gaucher
17et pour
les autres maladies à gène unique. Lorsque les praticiens et les
chercheurs comprendront mieux les facteurs qui déterminent si un
patient homozygote pour la mutation N370S risque de développer une
maladie sévère ou non, on pourra alors dire que le
dépistage de la maladie de Gaucher devient utile. Mais jusqu'à
ce que ceci arrive, le dépistage de la maladie de Gaucher aura plus de
probabilité de faire du mal que du bien.
Informations sur les auteurs
| | Corresponding Author: Ernest Beutler, MD, Department of Molecular and
Experimental Medicine, The Scripps Research Institute, 10550 N Torrey Pines
Rd, MEM-19111, La Jolla, CA 92037
(beutler{at}scripps.edu).
Liens financiers: Le Dr Beutler détient des licences qui
permettent le dépistage de la maladie de Gaucher et est
rémunéré en tant que membre du conseil scientifique de
Protalix Bio-Therapeutics, qui manufacture un traitement pour la maladie de
Gaucher.
Financement/Soutien: ce travail a bénéficié du
soutien du Stein Endowment Fund.
Rôle du sponsor: Le Stein Endowment Fund n'a joué aucun
rôle dans la préparation, le revue ou l'approbation du
manuscrit.
Author Affiliation: Department of Molecular and Experimental
Medicine, The Scripps Research Institute, La Jolla, California.
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ARTICLES EN RAPPORT
Cette semaine dans le JAMA
JAMA. 2007;298:1253.
Texte Complet
Dépistage des porteurs de la maladie de Gaucher: Des leçons sur les maladies traitables à faible pénétrance.
Shachar Zuckerman, Amnon Lahad, Amir Shmueli, Ari Zimran, Leah Peleg, Avi Orr-Urtreger, Ephrat Levy-Lahad, et Michal Sagi
JAMA. 2007;298:1281-1291.
Résumé
| Texte Complet
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