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Matières grasses, fruits, légumes et chances de survie après un cancer du sein
Susan M. Gapstur, PhD;
Seema Khan, MD
LLe cancer du sein est le type de cancer le plus souvent
diagnostiqué et la seconde cause de mortalité par cancer chez
les femmes aux
États-Unis1.
Des progrès dans la détection précoce, le traitement
chirurgical et la chimiothérapie ont conduit à une
amélioration significative du taux de survie du cancer du sein, en
particulier chez les femmes aux premiers stades de la maladie. Les estimations
actuelles recensent au moins 2,4 millions de femmes ayant survécu
à un cancer du sein aux
États-Unis.1
Parmi ces femmes, le risque de récidive à long terme
représente une inquiétude majeure. Et la question de
déterminer si un changement dans le style de vie peut modifier ce
risque a été un sujet d'étude important. Des
études d'observation épidémiologiques ont
évalué les associations entre régimes
diététiques riches en fruits et légumes, régimes
pauvres en matières grasses ou les deux et le risque d'une
récidive ou les chances de survie. Les résultats de ces
études s'étant révélés non concluants,
2-5
ils ne permettent pas d'invoquer les effets bénéfiques
potentiels de ces régimes pour tirer des conclusions solides.
Néanmoins, de nombreux essais cliniques randomisés ont
été menés et leurs données mettent de plus en plus
en évidence les effets des interventions diététiques sur
le pronostic du cancer du sein.
Dans ce numéro du JAMA, le Dr Pierce et ses collègues 6
présentent les résultats de l'étude WHEL (Women's Healthy
Eating and Living Study), un essai contrôlé randomisé
visant à évaluer si une intervention diététique
intensive consistant à augmenter les fruits à 3 portions/jour,
les légumes à 5 portions/jour, les fibres à 30 g/jour et
à ramener à entre 15 et 20% la part des matières grasses
dans le total calorique, pouvait réduire le risque de récidive,
le cancer du sein invasif nouvellement diagnostiqué ou la
mortalité chez des femmes ayant survécu à un cancer du
sein aux stades précoces (stades I-IIIA). Dans cette étude
multicentrique, 3 088 femmes ayant été diagnostiquées et
traitées au cours des 4 années écoulées ont
été réparties de façon aléatoire entre le
groupe d'intervention intensive et un groupe de comparaison d'intensité
moindre auquel on a conseillé de suivre le programme des 5 portions
quotidiennes de fruits/légumes du régime « 5 par jour
». 7 Après une moyenne de suivi de 7,3 ans, aucune
différence n'a été signalée entre les 2 groupes
concernant le risque de récidive ou l'incidence d'un cancer du sein
nouvellement diagnostiqué (P=0.63) ou le taux de mortalité
(P=0.43) globale. De même, en matière de pronostic, aucune
différence entre groupes n'est apparue, aussi bien en fonction des
caractéristiques démographiques de départ comme l'indice
de masse corporelle qu'en fonction des caractéristiques cliniques
telles que, notamment, le stade de la tumeur et le statut des
récepteurs hormonaux. De plus, l'intervention n'a pas avantagé
les femmes dont le régime était, au départ, pauvre en
fruits, légumes et fibres ou riche en matières grasses.
L'étude WINS (Women's Intervention Nutrition Study)
8 est un
autre essai clinique randomisé conçu spécifiquement pour
évaluer si un régime hypolipidique (15 % du total calorique)
affecte la récidive du cancer du sein ou la survie. Les
résultats provisoires de cet essai, qui a enrôlé 2 437
femmes diagnostiquées dans l'année d'un cancer du sein aux
stades précoces (stades I-IIIA), ont montré, après une
moyenne de suivi de 5 ans, un avantage significatif (P=0.03) du taux de chance
de survie sans rechute dans le groupe d'intervention hypolipidique
comparé au groupe de contrôle qui n'a reçu que des
directives diététiques minimales.
8 Les
résultats d'une analyse exploratoire suggèrent que l'effet
bénéfique de l'intervention hypolipidique peut se limiter aux
femmes atteintes d'un cancer du sein à récepteur
estrogène ou progestérone négatif.
Comment évaluer les effets différentiels d'une intervention
hypolipidique basée sur l'état du récepteur hormonal? Ces
différences pourraient-elles s'expliquer par la variation, selon la
durée du suivi, des taux de risque de récidive associés
à la positivité ou à la négativité du
récepteur hormonal?
9 Alors que
ces deux questions font actuellement l'objet d'un débat, une mise
à jour récente et une analyse, après 8 ans de suivi, des
données de l'essai WINS montrent des avantages similaires dans le
groupe du régime pauvre en matières grasses.
10
Il faut examiner avec soin ces résultats conflictuels des essais
WHEL et WINS qui tentent d'évaluer les effets positifs potentiels des
changements diététiques sur le pronostic à long terme du
cancer du sein. Il faut, en particulier, se pencher sur le problème
clé: la différence des équilibres
énergétiques atteints par les participantes des essais WINS et
WHEL. Dans l'essai WINS, au cours du suivi de 5 ans, on a relevé, entre
les groupes d'intervention et de comparaison, une augmentation constante de la
différence de l'apport énergétique total
auto-rapporté.
En conséquence, chez les participantes du groupe d'intervention
hypolipidique, on a relevé une baisse de poids significative avec,
à 5 ans, une différence de 6 livres (2,7 kilos) entre les
groupes d'intervention et de contrôle.
8 Dans
l'essai WHEL, par contre, l'apport énergétique total
auto-rapporté a diminué jusqu'à atteindre un niveau
comparable dans les deux groupes d'intervention et de contrôle au cours
des 6 ans de suivi et les deux groupes ont affiché de légers
gains de poids (de 0,6 et 0,4 kilo respectivement).
4 On ne
discerne pas clairement si la différence d'équilibre
énergétique reflétée par ces changements de poids
peut expliquer en partie aussi bien les effets bénéfiques de
l'intervention sur la survie, tels qu'on les observe dans l'essai WINS que
l'effet du manque d'intervention de l'essai WHEL. Envisagées
conjointement, ces données soutiennent les conclusions des
études d'observation qui suggèrent une association
négative entre, d'une part, un haut niveau d'obésité, de
gain de poids ou des deux après le diagnostic et, d'autre part, la
survie sans rechute et la survie d'ensemble au cancer du
sein.11
Parmi les considérations connexes soulevées par les
résultats de l'essai WHEL, figurent la conformité aux
changements diététiques proposés et la validité
des données collectées. Comme on s'y attendait, sur la base des
rappels téléphoniques effectués toutes les 24 heures, on
a relevé, entre les groupes d'intervention et de comparaison, des
différences évidentes dans les apports en fruits et en
légumes, au cours des 4 années de suivi et, dans une moindre
mesure, à 6
ans.4 Ces
différences auto-rapportées ont été
validées par un niveau plus élevé de la teneur en
caroténoïdes du plasma dans le groupe d'intervention
comparé au groupe de contrôle. Cependant, l'objectif de ramener
l'apport en matières grasses à entre 15 et 20 % du total
calorique n'a pas été atteint dans le groupe d'intervention. En
effet, à aucun moment pendant le suivi, l'apport lipidique
auto-rapporté moyen n'a été inférieur à 21
% du total calorique et, à partir de la 4ème année, il
représentait, dans les deux groupes, plus de 27 % du total calorique.
De plus, au suivi de la 6ème année, le pourcentage moyen des
calories dues aux lipides rapporté par les participantes était
supérieur au pourcentage rapporté au départ, et ce, dans
le groupe d'intervention comme dans le groupe de contrôle. Ce manque de
conformité à l'objectif de réduction visé par
l'intervention explique-t-il certaines des lacunes de cet essai? La question
reste sans réponse claire.
Il y a plus préoccupant encore. La moyenne du total des apports
caloriques journaliers était au départ de 1 719 kcal
(kilocalories) dans le groupe d'intervention et de 1 717 kcal dans le groupe
de comparaison. Au suivi de la 6ème année, les mêmes
moyennes étaient de 1 538 kcal et de 1 559 kcal, respectivement. En
l'absence d'un changement dans les activités physiques, on s'attendrait
à ce qu'une réduction de presque 180 kcal par jour
résulte en une perte de poids pendant la période
étudiée. Or, ces participantes ont affiché, pendant la
période étudiée, de légers gains de poids. Ces
résultats mettent en question la validité de certaines
composantes des données diététiques
auto-rapportées.
Concernant les effets des interventions diététiques sur le
pronostic du cancer du sein, un certain nombre de problèmes reste
à résoudre. Il s'avère de plus en plus qu'évaluer
les effets diététiques n'est pas si simple. Il faut surveiller
de près les données fournies afin d'assurer la conformité
aux objectifs de l'intervention pour pouvoir détecter tout effet
hypothétique. En outre, il semble légitime de mener des essais
visant à déterminer si le pronostic du cancer du sein se trouve
amélioré par des interventions portant sur les composantes
complexes de l'équilibre énergétique (c.-à-d.
l'activité physique et l'apport énergétique).
Malheureusement pour les femmes ayant survécu à un stade
précoce de cancer du sein, les données dont nous disposons ne
permettent pas d'affirmer que les recommandations diététiques
des meilleures pratiques améliorent le pronostic à long
terme.
Informations sur les auteurs
| | Correspondance: Susan M. Gapstur, PhD, Northwestern University Feinberg
School of Medicine, Department of Preventive Medicine, 680 N Lake Shore Dr
(D335), Ste 1102, Chicago, IL 60611
(sgapstur{at}northwestern.edu).
Liens financiers: Aucun déclaré.
Affiliations des auteurs: Departments of Preventive Medicine and
Surgery, Feinberg School of Medicine, and the Robert H. Lurie Comprehensive
Cancer Center, Northwestern University, Chicago, Illinois.
BIBLIOGRAPHIE
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ARTICLES EN RAPPORT
Cette semaine dans le JAMA
JAMA. 2007;298:257.
Texte Complet
Effet d'un régime riche en légumes, en fruits et en fibres, et pauvre en graisses, sur le pronostic après un traitement du cancer du sein: Étude randomisée WHEL (Women's Healthy Eating and Living)
John P. Pierce, Loki Natarajan, Bette J. Caan, Barbara A. Parker, E. Robert Greenberg, Shirley W. Flatt, Cheryl L. Rock, Sheila Kealey, Wael K. Al-Delaimy, Wayne A. Bardwell, Robert W. Carlson, Jennifer A. Emond, Susan Faerber, Ellen B. Gold, Richard A. Hajek, Kathryn Hollenbach, Lovell A. Jones, Njeri Karanja, Lisa Madlensky, James Marshall, Vicky A. Newman, Cheryl Ritenbaugh, Cynthia A. Thomson, Linda Wasserman, et Marcia L. Stefanick
JAMA. 2007;298:289-298.
Résumé
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