DR REYNOLDS: Mr A est un homme de 68 ans avec une maladie pulmonaire
obstructive chronique sévère (BPCO), une coronaropathie, une
maladie vasculaire périphérique, de l'hypertension
artérielle, une hypercholestérolémie, et un tabagisme qui
se poursuit, nécessitant une intervention chirurgicale pour
présomption de cancer du côlon.
En décembre 2005, Mr A avait subi une coloscopie pour un
épisode unique de méléna. La coloscopie avait mis en
évidence une masse friable, infiltrante, d'apparence maligne, dans le
sigmoïde. Une coloscopie de routine, effectuée en 2001, n'avait
montré que deux petits polypes: un petit adénome sur le
côté droit et un petit polype hyperplasique sur le
côté gauche. Depuis la dernière coloscopie, Mr A avait
consulté deux chirurgiens généralistes qui lui avaient
tout deux conseillé de subir une résection de la masse.
Mr A fume un à deux paquets de cigarettes par jour, bien qu'il ait
tenté de réduire la quantité; il a un passé
tabagique de 75 paquets par an. Sa toux n'a pas évolué depuis
plusieurs mois, s'accompagnant d'une expectoration abondante et grisâtre
le matin. Il avait essayé d'arrêter de fumer en utilisant des
patchs de nicotine mais ses périodes d'abstinence avaient
été de courtes durées. Un essai du bupropion avait
été restreint par la dysphorie. Ses récentes tentatives
de sevrage avaient été en partie entravées par son niveau
d'anxiété croissant face au diagnostic d'un cancer
quasi-certain. Il a récemment eu de nombreux épisodes de
bronchites et une infection des voies respiratoires supérieures (IVRS),
pour laquelle il a été brièvement traité par
corticoïdes oraux et antibiotiques. Il a des épisodes peu
fréquents d'angor stable. Ses activités physiques sont
limitées par sa maladie vasculaire périphérique. Il peut
faire 45 à 90 mètres avant que ses mollets ne deviennent
douloureux et ne l'obligent à s'arrêter et se reposer.
Le passé médical de Mr A est important du fait de la BPCO
avec de nombreuses hospitalisations sans intubation. L'imagerie par
résonance magnétique (IRM) avait montré des signes
d'infarctus lacunaire. Mr A avait eu un pontage fémoral droit en 1990,
un pontage coronarien en 1999, suivi de la mise en place d'un stent en 2001.
Il n'avait pas eu de complications pulmonaires suite à son intervention
cardiaque. Un échocardiogramme de 2004 avait montré une
hypertrophie bi-ventriculaire modérée, avec préservation
de la fonction ventriculaire et pas d'anomalies de la cinétique
pariétale. Mr A n'a pas d'antécédent d'insuffisance
cardiaque congestive. Une scintigraphie MIBI au dipyridamole couplée
à une épreuve d'effort, effectuée en 2001 (après
la pose de stent) avait mis en évidence des anomalies
modérées et réversibles au niveau de la paroi
inférieure et la partie inférieure de l'apex ainsi que la paroi
antérieure. Cliniquement stable depuis 2001, sans évolution de
son angor avec des épisodes peu fréquents, Mr A avait
visité son cardiologue avant l'opération prévue. Mr A
avait rejeté l'option d'un cathétérisme cardiaque
préopératoire avec un possible placement de stent. Les
placements de stent auraient retardé son opération d'au moins
trois mois à cause des traitements antiplaquettaires nécessaires
pour prévenir la thrombose du stent.
La médication actuelle de Mr A inclut une combinaison
fluticasone/salmétérol en inhalateur, une combinaison
albutérol/ipratropium en nébulisateur, du tiotropium en
inhalateur, de l'amlodipine, du lisinopril, de l'atorvastine, du citalopram,
de l'isosorbide mononitrate, du clonazépam, du pantoprazole et de
l'aspirine.
Mr A a une couverture santé privée. Il vit avec sa femme,
travail à temps plein et boit plusieurs fois par jour.
A l'examen physique, Mr A avait montré une difficulté
respiratoire modérée en allant de la salle d'attente à la
salle d'examen. Il n'avait aucune difficulté au repos. Il pèse
87,7 kg (193lb); son indice de masse corporelle et de 27,5, sa pression
artérielle sanguine est de 101/57mm Hg, sa fréquence cardiaque
est de 70 battements/min, et la saturation en oxygène de 96% à
l'air ambiant. Les poumons paraissent en hyperinflation à
l'écoute, avec des bruits respiratoires diminués et des
sifflements dispersés. Il n'y a pas de râle crépitant. Le
cou est souple, sans distension jugulaire. Les bruits du coeur sont normaux.
Les extrémités ne montrent pas d'hippocratisme digital, de
cyanose ou d'oedème.
Les résultats de laboratoire de Mr A sont les suivants:
hématocrite 33%, avec des signes suggérant une anémie
associée à une maladie chronique; niveau plaquettaire, 157
000/µl; nombre de globules blancs, 7900/µl; électrolytes,
normaux; azote uréique sérique, 15 mg/dl (5.35 mmol/l);
créatininémie, 1.1 mg/dl (97.24 µmol/l); albumine
sérique, 4.1 g/dl, et l'antigène carcino-embryonnaire 11 ng/ml
(valeurs normales, 0-4). Une radiographie thoracique montre une hyperinflation
avec aplatissement du diaphragme. On note des clips médiastinaux et des
sutures de sternotomie.
Les résultats spirométriques de Mr A varient très peu,
sans aucune tendance notable dans les quatre mesures impliquées parmi
celles indiquées dans le TABLEAU
1.
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Tableau 1.. Résultats spirométriques de Mr A
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DR N, LE MEDECIN DE MR A: SON POINT DE VUE
Mr A était très anxieux sur son opération à
venir. Convaincu que son anxiété empirerait s'il passait un
entretien devant la caméra, Mr A avait donné aux éditeurs
de Rencontres Cliniques l'autorisation d'utiliser son dossier et nous avait
demandé de parler à son médecin qu'il connaissait depuis
des années. Dr N s'était entretenu longuement avec Mr A et son
épouse avant notre entretien.
J'ai rencontré Mr A il y a 8 ou 9 ans, je soignais
déjà son épouse et son beau-frère. Les plus
importants problèmes médicaux de Mr A étaient ses
troubles cardiaques et pulmonaires. Au début des années 90, Mr A
avait été hospitalisé plusieurs fois pour des douleurs
thoraciques et angor. Il avait subi une angioplastie et un quadruple pontage
coronaire. Il avait ensuite subi une ACTP (angioplastie coronaire
transluminale percutanée) et s'était bien porté, du point
de vue cardiaque, sur les 4 ou 5 dernières années. C'est
pourquoi il nous avait fallu quelques années pour revasculariser le
réseau coronaire, mais nous avions finalement pu le faire.
Mr A avait eu des exacerbations sévères de BPCO avec en
conséquence occasionnellement des IVRS. Il ne nécessitait pas
d'intubation, mais il était hospitalisé et nécessitait
des traitements intensifs, en USI [unité de soins intensifs] ou non. Il
est dommage qu'il n'ait pas pu s'arrêter de fumer. Il aimerait bien,
mais continue de fumer quelques paquets par jour.
Mr A a un mode de vie sédentaire, sans entrave de sa maladie
pulmonaire. Il marche et travaille comme agent de sécurité. Il
n'a pas besoin de limiter ses activités professionnelles ou ses
activités usuelles à domicile. Il rythme ses activités et
évite les efforts physiques.
Je pense que l'anxiété lui pose un gros problème. Il
n'apparaît pas comme une personne particulièrement anxieuse, mais
il rapporte des états d'anxiété malgré la prise de
médicaments anxiolytiques et de divers antidépresseurs depuis
plusieurs années. Je pense qu'il trouve dans le tabac un
réconfort, et à un certain moment, il se tournait de temps en
temps vers l'alcool lors de périodes de stress accru.
Ce diagnostic de présomption de cancer du côlon a
été très stressant pour Mr A. Il avait
déclaré de nombreuses fois à son épouse qu'il ne
pensait pas pouvoir s'en sortir. Cela rappelle les fois où il broyait
du noir en raison de sa santé. Il est préoccupé par
l'idée de ne pas pouvoir s'affranchir du ventilateur. Mais, à
moins qu'il n'ait des complications imprévues, sa maladie pulmonaire
sous-jacente ne nous permet pas de considérer cette peur
justifiée.
Il avait vu son cardiologue il y a un ou deux mois et avait passé
des épreuves d'efforts répétées. C'était
une bonne chose. Cela l'avait rassuré. Il avait vu son pneumologue et
subi des évaluations répétées de ses fonctions
pulmonaires. Elles étaient bonnes. Ces troubles durent depuis
longtemps, mais ils ne sont pas pires qu'avant. Il lui avait été
demandé à cette époque d'arrêter de fumer en
l'informant qu'une interruption aussi courte qu'un mois réduirait la
vraisemblance des complications postopératoires. Il avait apparemment
arrêté pendant une semaine ou deux, mais il avait
recommencé de fumer après.
J'ai discuté plusieurs fois avec l'épouse de Mr A le mois
dernier et elle était préoccupée par la façon dont
il gérait son anxiété, à la fois parce qu'il lui
disait à quel point il était inquiet et parce que sa
première inclination, en rentrant du travail, était de boire
puis de faire une sieste.
PENDANT LES RENCONTRES: QUESTIONS POUR LE DR SMETANA
Comment évaluez-vous les risques pulmonaires
préopératoires chez un patient présentant une BPCO et
quels sont les facteurs de risque importants liés au patient et
liés à l'intervention? Quelles évaluations
préopératoires doivent être réalisées et par
qui? Est-ce que la spirométrie ou les index de risques pulmonaires
aident dans la stratification des risques? Quand envisager une intervention
alternative à faible risque et l'état pulmonaire est-il un
facteur absolu de contre-indication de la chirurgie? Quelles stratégies
réduisent de façon documentée le risque de complications
pulmonaires postopératoires? Quel rôle joue l'arrêt ou la
réduction du tabagisme? Que recommandez-vous pour Mr A?
DR SMETANA: Mr A a une BPCO sévère, à l'origine de
symptômes presque quotidiens qui restreint son mode de vie à des
activités sédentaires. Il envisage une chirurgie pour une
pathologie potentiellement létale, mais est préoccupé par
l'impact de sa BPCO sur le risque de l'intervention. Il est
particulièrement préoccupé par la possibilité de
devoir rester, à long terme, sous ventilation assistée
après l'opération, et peut être ne plus se sevrer du
ventilateur. C'est un fumeur de longue date qui craint que cela n'augmente le
risque opératoire.
Les complications postopératoires pulmonaires (CPP) importantes
incluent la pneumonie, l'atélectasie lobaire, une ventilation
mécanique au delà de 48 heures (insuffisance respiratoire), et
le
bronchospasme.1
La plupart des études de CPP évaluent le risque pour un
résultat composite incluant toutes ou plusieurs des complications
possibles. A quelques exceptions près, il n'est pas possible de faire
une estimation du risque pour une CPP donnée. Dans les
opérations à risque modéré et à risque
élevé, les complications pulmonaires ont une morbidité
équivalente aux complications cardiaques et contribuent à parts
égales à la prolongation de l'hospitalisation et à la
mortalité.2
Par exemple, dans une étude prospective d'une cohorte de 3970 patients
non présélectionnés subissant une opération
majeure non urgente et non cardiaque, les complications postopératoires
cardiaques et pulmonaires avaient la même incidence, avec des taux
respectifs de 2,5% et de
2,7%.3
Une directive récente de l'ACP (American College of Physicians)
fournit un résumé des estimations du risque
conféré pour des facteurs donnés liés au patient
ou à l'intervention, et aide à l'estimation du risque de CPP
pour Mr A pour la chirurgie du côlon qu'il
envisage.1,4,5
La discussion qui suit est centrée principalement sur les
évaluations pulmonaires préopératoires et les
stratégies pour diminuer la probabilité de complications
pulmonaires postopératoires, y compris la dépendance
respiratoire. Le risque de thrombo-embolie veineuse n'est pas abordé
car il s'agit d'un sujet différent ayant des facteurs de risque
différents.
Facteurs de risque liés au patient
La classification ASA (classification selon l'état physique,
établie par l'American Society of Anesthesiologists), qui estime la
mortalité postopératoire en se basant sur l'impression clinique
générale du poids d'une maladie, est également l'un des
plus importants facteurs de risque liés au patient pour les CPP1,6
(TABLEAU 2).
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Tableau 2.. La mortalité et le taux de complication pulmonaire
postopératoire, stratifiées selon la classification de
l'état physique par l'American Society of Anesthesiology (ASA)
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Selon cette classification, Mr A serait de classe ASA III (atteinte
systémique sévère); ce résultat seul suffit
à accroître ses risques de CPP (rapport de cotes [RC] 4.87,
intervalle de confiance [IC] 95%, 3.34-7.10) en comparaison aux patients de
classe ASA
I).1
L'impact de l'âge sur le risque de CPP avait été sujet
à controverses. Un âge avancé augmente la
prévalence des comorbidités, qui peuvent à leur tour
accroître le risque, mais l'âge demeure un facteur de risque
même après un ajustement multivarié pour les
comorbidités.1
Il n'existe aucun point de déflection; le risque de CPP s'accroît
tous les dix ans au delà de 50 ans. Mr A a 68 ans, ce qui lui
confère un rapport de cotes ajusté [RCA] de 2.09 (IC 95%,
1.65-2.64) par rapport aux patients de moins de 50 ans. Considérant le
risque absolu de Mr A, les taux non ajustés de CPP pour des patients
non présélectionnés de 65 ans et plus par rapport aux
patients de moins de 65 ans sont respectivement 11,3% et
1,5%.1
Un antécédent d'insuffisance cardiaque congestive,
établi lors d'un diagnostic clinique, est un facteur de risque de CPP,
particulièrement important chez les patients âgés. Par
exemple, dans une analyse multivariée sur 544 patients de plus de 70
ans subissant une chirurgie non cardiaque, les antécédents
d'insuffisance cardiaque étaient le signe pré-opératoire
prédictif le plus fort de CPP (RC 5.7; IC 95%,
2.1-15.5).8
Deux études dérivées du National Veterans Administration
Surgical Quality Improvement Program (programme national d'amélioration
de la qualité de la chirurgie dans les centres hospitaliers pour les
vétérans aux Etats-Unis) ont toutes deux montré que la
dépendance fonctionnelle était un facteur de risque
indépendant.9,10
Le tabagisme accroît le risque de CPP, même après
ajustement sur une BPCO. Cependant, le RCA est faible, à 1.26 (IC 95%,
1.01-1.56). De ces trois risques, seul le tabagisme actif s'applique à
Mr A.
L'impact de la BPCO sur le taux de CPP est de la plus haute importance pour
Mr A. Dans une analyse regroupée de 8 études, le RCA pour la
BPCO était de 1.79 (IC 95%, 1.44-2.22), ce qui est plus bas que les
estimations précédemment
établies.1
Le taux de CPP non ajusté pour des patients ayant une BPCO, pour tout
type de chirurgie, est de
18.2%.1
Quelle est la précision de l'évaluation clinique dans le
diagnostic et l'estimation de la BPCO? Le
TABLEAU 3 résume des
caractéristiques opératoires composites obtenues à partir
d'une publication de
199511 et
une étude multicentrique plus
récente.12
Les praticiens peuvent diagnostiquer les maladies obstructives des voies
respiratoires avec un niveau élevé de précision. Un
résultat constitué des quatre valeurs citées dans
l'étude de Straus et
al12
confère un rapport de probabilité positif de 220,5, et l'absence
de tous les facteurs, un rapport de probabilité négatif de 0,13.
Un nombre limité de publications avance que plus le nombre de
résultats montrant des troubles physiques est élevé, plus
la maladie pulmonaire obstructive est
sévère.13
S'appliquant à Mr A, cette observation faite dans une étude
montre que la présence de n'importe lequel des cinq résultats
montrant des anomalies physiques, incluant la diminution des bruits
respiratoires, l'expiration prolongée, des râles, des sifflements
ou des ronchi, accroissait le taux de CPP après une chirurgie
abdominale élective (RC 5.8, IC 95%,
1.04-32.1).14
Lors de son examen préopératoire, le Dr N avait trouvé
que Mr A avait 3 des 5 résultats. Les données des publications
ne permettent pas une estimation composite du RC pour les CPP chez des
patients ayant de multiples facteurs de risque.
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Tableau 3.. Caractéristiques opératoires des antécédents et
de l'examen physique dans la prédiction de la limitation du
débit aérien
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La sévérité de la BPCO, établie par
évaluation clinique, influe-t-elle sur les taux de CPP? Kroenke et
al15 avaient
étudié les résultats de 78 patients avec BPCO
après une chirurgie thoracique ou abdominale. Les auteurs avaient
classifié la sévérité de la BPCO selon un
critère spirométrique (sévère = prédiction
d'un volume expiratoire maximal par seconde [VEMS] < 50% et du rapport VEMS
et la capacité vitale forcée [VEMS/CVF] < 70%), mais les
praticiens auraient probablement pu identifier ces patients sur des bases
cliniques. Comparés à des patients avec une BPCO
sévère ou modérée, ceux atteints de BPCO
sévère étaient plus susceptibles de prendre des
bronchodilatateurs à long terme (54% vs 25%), d'avoir des
résultats anormaux à l'examen pulmonaire (62% vs 37%), et
d'être ASA III ou supérieure (96% vs 85%). Mr A remplit ces trois
critères cliniques. Le décès (19% vs 4%) et les CPP
sévères (23% vs 10%) étaient plus courants dans la
cohorte de patients sévèrement atteints. Le nombre de paquets de
cigarette par an semble également être corrélé aux
taux de CPO, mais ce n'est pas un résultat
caracteristique.16-19
Contrairement aux BPCO, un asthme bien contrôlé ne constitue
pas un facteur de risque. Dans l'étude la plus large s'adressant
à cette question, seuls 12 sur 706 patients asthmatiques avaient eu une
CPP; toutes les complications étaient mineures et consistaient de
bronchospasmes et de
laryngospasmes.20
L'hypertension pulmonaire, quelle que soit l'étiologie, est un
facteur de risque de CPP important. Selon une étude, le taux
d'insuffisance respiratoire pour de tels patients subissant une
opération chirurgicale non cardiaque sous anesthésie
générale est de
28%.21 Un
faible risque progressif de CPP existe également pour les patients
ayant récemment perdu du poids (RCA 1.62, IC 95%, 1.17-2.26), ayant des
problèmes sensoriels (RCA 1.39, IC 95%, 1.08-1.79), et consommant de
l'alcool (RCA 1.21, IC 95%,
1.11-1.32).9,10
Facteurs de risque liés à l'intervention
Contrairement à la stratification des risques cardiaques, les
facteurs de risque liés à l'intervention contribuent de
manière plus importante au risque global de CPP que les facteurs
liés au
patient.1
L'unique facteur de risque le plus important est le site
chirurgical.1
L'enseignement traditionnel s'applique toujours: le risque de CPP est maximal
pour les incisions près du diaphragme. Les interventions comportant les
risques les plus élevés sont aortiques (RCA 6.90, IC 95%,
2.74-17.36), thoraciques (y compris la chirurgie œsophagienne)
(RCA 4.24, IC 95%, 2.89-6.23), et abdominale supérieure (RCA 2.91, IC
95%, 2.35-3.60). Une neurochirurgie (RCA 2.53, IC 95%, 1.84-3.47) et des
interventions au niveau de la tête et du cou (RCA 2.21, IC 95%,
1.82-2.86) sont également à risques élevés par
nature.1 Mr A envisage une chirurgie abdominale, ce qui confère un RC
de 3.01 (IC 95%, 2.43-3.72) pour le taux de CPP chez des patients non
présélectionnés.1
Le taux de CPP non ajusté pour Mr A, selon que la chirurgie touche
l'abdomen supérieur ou inférieur, serait de 19.7% ou 7.7%.1 Le
taux de CPP lié à la chirurgie colorectale varie de 5% à
14%.22-24
Les autres facteurs de risque importants liés à
l'intervention sont la chirurgie d'urgence (RCA 2.52, IC 95%, 1.69-3.75) et la
chirurgie prolongée (généralement définie comme
> 3 heures) (RCA 2.26, IC 95%, 1.47-3.47). L'effet du type
d'anesthésie sur le taux de CPP reste controversé. Dans la plus
large méta-analyse d'essais randomisés à ce jour, les
auteurs avaient identifié 141 essais incluant 9559 patients pour
comparer le bloc neuraxial (anesthésie rachidienne ou épidurale)
avec l'anesthésie
générale.25
La pneumonie (RC 0.61, IC 95%, 0.48-0.76) et l'insuffisance respiratoire (RC
0.41, IC 95%, 0.23-0.73) étaient toutes deux significativement moins
courantes chez des patients randomisés dans le groupe du bloc neuraxial
(avec ou non une anesthésie générale concomitante) que
chez ceux ayant subi uniquement une anesthésie générale.
L'inclusion d'études sur de petits échantillons,
l'hétérogénéité des études, et les
anciennes études sont des causes potentielles de biais. Plusieurs
essais randomisés récents n'ont pas confirmé le taux de
CPP plus bas chez les patients ayant subi un bloc
neuraxial.26,27
Bien que les résultats soient mitigés, les cliniciens devraient
considérer l'anesthésie générale comme un facteur
de risque probable de CPP dans l'attente de futures études.
Evaluation cardiaque préopératoire
Outre le risque de CPP encouru par Mr A, lui et ses médecins doivent
prendre en compte le risque de complications postopératoires cardiaques
y compris l'infarctus cardiaque, les œdèmes pulmonaires, et le
décès d'origine cardiaque. L'index révisé des
risques cardiaques est un outil validé pour estimer les risques, en
utilisant six facteurs
cliniques.28
Dans cet index, les facteurs suivants sont significatifs, après
ajustement pour d'éventuels facteurs parasites: (1) chirurgie à
haut risque; (2) maladie cardiaque ischémique, (3)
antécédent d'insuffisance cardiaque, (4)
antécédent de maladies cérébrovasculaires, (5)
insulinothérapie pour diabète, et (6) niveau de
créatininémie supérieur à 2.0mg/dl (176.8
µmol/l). Mr A a trois facteurs sur six (1,2 et 4), ce qui le met dans la
classe IV; cette classe est associée à un risque de
complications cardiaques postopératoires estimé entre 9.1% et
11.0%. Ceci est comparable à son risque de CPP.
En se basant sur la directive de l'American College of Cardiology/American
Heart
Association,29
Mr A a les suivants: (1) une revascularisation coronaire sur une
période de 5 ans avec des symptômes récurrents, (2) une
évaluation coronaire récente ayant montré une
ischémie, (3) des prédicteurs cliniques intermédiaires
(angor modéré), et (4) une faible capacité physique (45m
- 90m). La directive recommande ainsi un examen non invasif pour Mr A.
Cependant, la validité de cette approche a été mise en
question par la récente découverte, montrant que la
revascularisation coronaire ne réduisait pas le risque de complications
cardiaques postopératoires chez des patients ayant une coronaropathie
stable.30
Une version mise à jour de cette directive est attendue cette
année et diffèrera vraisemblablement de façon
substantielle de celle existante, sur le rôle de l'examen cardiaque
préopératoire. Une discussion plus poussée sur
l'évaluation cardiaque préopératoire est hors du champ de
cet article.
Evaluation pulmonaire préopératoire.
Spirométrie La spirométrie a un rôle bien
établi dans l'évaluation de patients atteints d'un cancer du
poumon, candidats potentiels à la résection, mais son rôle
dans d'autres types de chirurgie à haut risque avait fait l'objet d'un
débat. Quatre études avaient employé une analyse
multivariée pour prendre en compte l'ajustement dû aux
caractéristiques cliniques connues pour accroître le risque de
CPP.14,16,33,34
Dans trois de ces études, une spirométrie anormale
prédisait des taux plus élevés de CPP; 2 de ces
études rapportaient que les facteurs prédictifs cliniques
conféraient des RC plus élevés qu'une spirométrie
anormale. Dans la quatrième étude, les résultats de la
spirométrie ne différaient pas entre les patients avec et sans
CPP, tandis que les facteurs prédictifs cliniques dans chaque cas
montraient une corrélation significative avec les taux de CPP.
L'importance de la spirométrie avant la chirurgie, dans des cas autres
qu'une résection pulmonaire, reste invérifiée, et il est
peu probable que le test apporte des informations additionnelles à
l'évaluation clinique. Même si les résultats
spirométriques sont vraisemblablement anormaux chez les patients
affectés d'une CPP, comparativement aux patients qui ont une
intervention sans complications, les praticiens peuvent vraisemblablement
identifier ces patients d'après leurs antécédents et
à l'examen physique. L'exemple de Mr A soutient cette hypothèse.
Bien qu'il ait un VEMS inférieur à 50% de la valeur attendue,
suggérant une BPCO sévère, la
sévérité de sa BPCO est apparente en raison de ses
antécédents et de l'examen physique; ses résultats
spirométriques n'apportent pas de modification à l'impression
clinique de sévérité.
Radiographie thoracique Les raisons possibles pour faire une
radiographie thoracique préopératoire incluent la constitution
d'une référence en cas de besoin d'un cliché
postopératoire, la détection de maladies cardio-pulmonaires
cliniquement silencieuses pouvant affecter les méthodes
anesthésiques ou chirurgicales ou influencer les estimations des
risques de CPP, et la stratification des risques chez les patients avec une
BPCO connue. Des arguments limités provenant d'une seule étude
soutient l'intérêt d'une évaluation
préopératoire dans le seul but de constituer une
référence.35
La plupart des publications impliquant l'utilisation de la radiographie
thoracique ont évalué la vraisemblance qu'elle puisse servir
à réorienter la prise en charge préopératoire
plutôt que de stratifier les risques de CPP. Dans une évaluation
de radiographies préopératoires, les résultats
cumulés de 18 études (n=20 518) avaient indiqué que 21,2%
des clichés préopératoires étaient anormaux.
Cependant, chez les patients de moins de 50 ans, seulement 4,9% des
résultats étaient anormaux. Chez 3,0% de l'ensemble des
patients, les résultats de la radiographie thoracique avaient
amené à une modification de la prise en charge
préopératoire. Les auteurs d'une évaluation
systématique récente sont arrivés à des
conclusions
similaires.37
S'agissant de la troisième raison, deux études avaient
observé qu'une radiographie thoracique anormale augmentait les risques
de CPP, même après ajustement pour des variables
cliniques,14,38
mais cette conclusion est basée sur des arguments limités. Je
recommande une radiographie thoracique préopératoire pour les
patients âgés de plus de 50ans, avec une maladie
cardio-pulmonaire connue, et subissant une chirurgie à haut risque.
Tests sanguins. En contraste aux soutiens limités en faveur
de la spirométrie et de la radiographie, trois tests sanguins sont des
prédicteurs importants du risque de CPP dans les analyses
multivariées: un niveau d'azote uréique sérique
supérieur à 21mg/dl (7.49mmol/l), un niveau de créatinine
sérique supérieur à 1.5mg/dl (132.6
µmol/l),9,10,39
et un faible niveau d'albumine
sérique.1
Le faible niveau d'albumine sérique constitue le prédicteur le
plus puissant de CPP en laboratoire et confère un accroissement du taux
de CPP d'un facteur 2 ou 4; les seuils rapportés vont de 3.0 à
3.9g/dl.
Index des risques pulmonaires
Les index de risques ont été largement utilisés pour
la stratification postopératoire des risques cardiaques depuis plus de
trois ans, mais ce n'est que récemment que les investigateurs ont
développé des index validés des risques pulmonaires, sur
la base de larges échantillons. Arozullah et al avaient fait un apport
significatif à la littérature existante sur l'évaluation
préopératoire du risque pulmonaire, avec la publication de deux
index multifactoriels. Ils avaient considéré
séparément les facteurs de risque de
pneumonie10
et d'insuffisance
respiratoire.9
Appliquant une analyse multivariée, les auteurs avaient affecté
un système de points pondérés aux facteurs qui
prédisaient de façon indépendante les résultats
indésirables au niveau pulmonaire. Le résultat principal
était similaire aux précédentes publications : les
facteurs de risque liés à l'intervention avaient le plus de
poids, en particulier le site chirurgical. La plupart des facteurs de risque
n'étaient pas modifiables (par exemple le site chirurgical,
l'âge, l'état fonctionnel). Ces index n'ont pas encore
été validés par d'autres investigateurs.
Mr A est particulièrement préoccupé de ne pas
réussir le sevrage ou de nécessiter une ventilation
assistée à long terme. En utilisant l'index pour l'insuffisance
respiratoire,9
Mr A reçoit des points pour la chirurgie abdominale supérieure,
sa BPCO, et l'âge entre 60 et 69 ans. Il est donc de classe 3 (sur 5
classes), avec un risque estimé pour une insuffisance respiratoire, de
5.3%. Le risque réel pourrait être plus élevé,
l'index ne permettant pas des ajustements selon la
sévérité de la BPCO. Sur l'index pour la
pneumonie,10
Mr A reçoit des points pour la chirurgie abdominale supérieure,
une BPCO, l'âge entre 60 et 69ans, un tabagisme actif, la prise de
corticoïdes, et une anesthésie générale. Il est de
classe 3 (sur 5 classes) et a un risque estimé de pneumonie de
4.0%.
Plus récemment, l'ACP a publié une directive basée sur
une évaluation systématique des preuves en faveur de 6
recommandations principales qu'elle
contient.5 La
directive recommande que tous les patients subissant une chirurgie non
cardiothoracique soient évalués pour BPCO, insuffisance
cardiaque congestive, une classe ASA II ou plus, l'âge de plus de 60ans,
et la dépendance fonctionnelle, car ces facteurs accroissent le risque
de CPP. Les patients subissant des interventions associées à un
risque élevé de CPP, y compris une chirurgie prolongée
(>3heures), une chirurgie abdominale, une chirurgie thoracique, une
neurochirurgie, une chirurgie de la tête et du cou, une chirurgie
vasculaire, une réparation d'un anévrisme aortique, une
chirurgie d'urgence ou la réception d'une anesthésie
générale, devraient être évalués pour
d'autres facteurs de risque aux CPP et recevoir les interventions
recommandées pour réduire les CPP. Du fait de l'association d'un
niveau faible d'albumine sérique (<3,5mg/dl) à un
accroissement du risque de CPP, l'albumine sérique devrait être
mesurée chez les patients suspectés d'avoir un faible niveau
d'albumine sérique (< 3.5 d/dl) et en même tant
considérée chez les patients présentant des facteurs de
risque aux CPP. Les patients les plus exposés aux CPP devraient
bénéficier d'exercices de respiration profonde ou une
spirométrie incitative postopératoire, et de façon
sélective (et non systématique), l'utilisation d'une sonde
nasogastrique (au besoin, en cas de nausées ou vomissements
postopératoires, des problèmes d'absorption orale ou de
distension abdominale symptomatique). La spirométrie et la radiographie
thoracique ne devraient pas être employées
systématiquement dans la prédiction des risques de CPP mais
peuvent être appropriées chez des patients ayant une BPCO ou un
asthme. Pour finir, un cathétérisme du cœur droit, une
nutrition parentérale totale, ou une nutrition entérale totale
ne devraient pas être appliquées dans l'intention de
réduire les
CPP.40
Est-ce que l'état pulmonaire constitue une contre-indication absolue à l'intervention chirurgicale ?
Si l'indication d'une intervention chirurgicale est suffisamment forte, par
exemple, traiter une condition mettant la vie du patient en danger ou
améliorer la survie à long terme (comme pour le néoplasme
potentiellement résécable de Mr A), même des patients
à haut risque ayant une BPCO peuvent avoir une chirurgie avec un
degré de morbidité et de mortalité qui peut être
acceptable pour le patient. Dans une étude classique, Kroenke et al
avaient déterminé le risque opératoire chez 107 patients
ayant une BPCO
sévère.19
Dans cette étude, tous les patients avaient un VEMS inférieur
à 50% de la valeur supposée, et un rapport VEMS/CVF
inférieur à 70%, comme pour Mr A. Les connaissances cliniques,
à l'époque de cette étude, avaient suggéré
que les risques étaient excessifs. Six patients étaient
décédés et sept avaient eu de sévères
CPP.
De façon similaire, Wong et al avaient étudié les taux
de CPP chez 105 patients ayant une BPCO sévère (définie
par un VEMS < 1.2 l et un rapport VEMS/CVF < 75%) et subissant une
chirurgie non
cardiothoracique.16
Sept patients étaient décédés et 39 avaient au
moins une CPP (les plus communes étant le bronchospasme
réfractaire et un séjour prolongé à l'unité
de soins intensifs). Il y avait eu 7 cas de pneumonie et 8 cas de ventilation
mécanique prolongée. D'après ces deux études, bien
que les risques ne soient pas négligeables, ils peuvent être
considérés acceptables si le résultat ciblé par la
chirurgie est important.
Réduire les risques de CPP
Le TABLEAU 4 regroupe les
interventions possibles pour réduire le taux de CPP. La valeur des
preuves varie de façon notable. De bonnes preuves provenant d'essais
contrôlés randomisés et d'évaluations
systématiques de grande qualité soutiennent les manoeuvres
d'expansion
volémique.4
Des arguments provenant d'essais randomisés contrôlés et
d'évaluations systématiques d'assez bonne qualité
soutiennent les bloqueurs neuromusculaires à action courte, la
décompression postopératoire sélective par sonde
nasogastrique, le bloc neuraxial, l'analgésie épidurale et
l'analgésie contrôlée par le
patient.4 Les
arguments pour une laparoscopie et un sevrage tabagique sont
mélangés.
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Tableau 4.. Interventions pour réduire le risque de complications pulmonaires
postopératoires
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Les manoeuvres d'expansion pulmonaire sont les seules approches qui ont eu
un "A" pour le poids des preuves d'après la directive
récente de
l'ACP.4 Ces
manoeuvres réduisent au minimum la chute prévisible du volume
pulmonaire après chirurgie de l'abdomen supérieur et une
chirurgie thoracique, et de ce fait, diminue le risque d'atélectasie et
autres CPP. Les méthodes faisant appel aux exercices de respiration
profonde, à la kinésithérapie respiratoire, à la
spirométrie incitative et à la ventilation sous pression
positive continue, réduisent chacune le risque, approximativement de
moitié.45,46
Une combinaison de deux ou plus n'est pas plus efficace qu'une seule
méthode. Les manœuvres d'expansion des poumons sont plus
efficaces lorsqu'elles sont commencés avant
l'opération.57,58
Les exercices préopératoires diminuent la dyspnée et
améliorent la capacité fonctionnelle et la qualité de vie
des patients ayant une
BPCO,59 mais
leurs effets sur les taux de CPP ne sont pas connus. Malgré ce manque
de preuves, cette méthode semble intéressante dans le cas de Mr
A.
Le tabagisme actif augmente le risque de CPP. Contrairement à ce qui
serait attendu, plusieurs études ont rapporté que les fumeurs
qui avaient récemment arrêté (< 2 mois avant
l'opération) avaient un risque de CPP plus élevé que les
fumeurs qui n'ont pas réduit ou arrêté leur consommation
avant
l'opération,38,60,61
bien qu'une étude isolée de patients subissant une
résection du poumon n'ait rapporté aucune différence dans
les taux de CPP entre les patients, stratifiés selon la durée de
l'abstinence.62
Un essai randomisé unique avait évalué le
bénéfice d'un programme d'interruption de 6 à 8 semaines
dans le but de réduire les complications périopératoires
chez 120 patients, avant la pose d'une prothèse du genou ou du
bassin.41 Le
taux d'insuffisance respiratoire faible était similaire (1 patient dans
chaque groupe), mais les chirurgies du genou et du bassin sont
associées à un risque faible de CPP et cette étude
n'avait pas la puissance statistique nécessaire pour détecter
une différence dans les taux de CPP. Si l'opération de Mr A
pouvait être retardée sans risque d'au moins 2 mois et sans une
probabilité élevée de perdre la fenêtre de temps
pour une résection curative, cela lui permettrait de
bénéficier au maximum d'une stratégie d'arrêt du
tabac.
L'utilisation du pancuronium pour un bloc neuromusculaire augmente la
vraisemblance d'un bloc neuromusculaire résiduel postopératoire.
Parmi ce sous-groupe de patients, il y a une augmentation du taux de CPP par
un facteur
3.42 Un bloc
peropératoire neuraxial, par opposition à une anesthésie
générale pourrait réduire les taux de CPP mais ceci reste
controversé.4,25
La douleur postopératoire peut provoquer une immobilisation et
affecter la respiration profonde, contribuant aux CPP après chirurgie
thoracique, abdominale ou aortique à haut risque. Dans une
évaluation systématique, l'analgésie épidurale
postopératoire diminuait les taux de CPP par rapport aux opioïdes
systémiques pour l'atélectasie (opioïdes épiduraux:
RC 0.53, IC 95%, 0.33-0.83), infection pulmonaire (anesthésiques locaux
épiduraux: RC 0.36, IC 95%, 0.21-0,65), et l'insuffisance respiratoire
(anesthésiques locaux épiduraux: RC 0.58, IC 95%, 0.42-0.80).48
L'analgésie postopératoire contrôlée par le patient
réduisait également le taux de CPP comparée à
l'analgésie à la
demande.49
Les avantages de la laparoscopie vs une chirurgie abdominale ouverte chez
les patients sont bien connus et incluent moins de douleurs
postopératoires, hospitalisations moins longues et retour rapide
à la vie
normale.63
Une méta-analyse de 12 essais randomisés, contrôlés
sur la laparoscopie vs la chirurgie ouverte pour un cancer du côlon n'a
montré aucune différence dans les taux de CPP (RC 0.65, IC 95%,
0.28-1.49), mais n'était pas suffisamment puissant pour détecter
des différences
significatives.43
Par conséquent, il n'est pas déterminé si cette
méthode réduirait le risque de CPP de Mr A. La présence
d'une sonde nasogastrique après l'opération pourrait augmenter
les taux de CPP. La décompression sélective par sonde
nasogastrique après une chirurgie abdominale se réfère
à son utilisation dans la distension abdominale ou les nausées,
au lieu d'être une pratique systématique. Une étude
systématique de 19 essais randomisés, contrôlés
(n=2892) avait mis en évidence une tendance vers une réduction
des CPP lors d'une utilisation sélective, par rapport à une
pratique systématique (augmentation relative du bénéfice
1.35, IC 95%,
0.98-1.86).47
Les approches qui se sont révélées inefficaces incluent
le recours systématique à la nutrition parentérale, la
nutrition parentérale enrichie (<< immonutrition >>), et un
traitement orienté par un cathétérisme artériel
pulmonaire
périopératoire.4,44,53,54
RECOMMANDATIONS POUR MR A
Pour Mr A le risque associé à l'intervention doit être
comparé au risque en absence d'action (c'est à dire l'histoire
naturelle de la condition non traitée). Le pronostic d'un cancer
présumé du côlon pour Mr A ne peut être posé
avec certitude qu'au moment de l'opération, étant donné
que l'étendue de l'invasion et l'état des ganglions lymphatiques
demeurent inconnus. Cependant, s'il est assez chanceux pour avoir un cancer du
côlon au stade précoce, le pronostic est favorable en cas de
résection. La survie sur 5 ans est de 93% pour le stade I et 85% pour
des lésions de stade
IIA.64 En
l'absence de traitement, le cancer de Mr A provoquera vraisemblablement des
symptômes dans quelques années, puis le conduira au
décès.
Son risque de CPP est augmenté du fait de la BPCO, de la classe ASA
supérieure à II, de son âge, du tabagisme actif, d'une
chirurgie supérieure de l'abdomen, et (probablement) de
l'anesthésie générale. Utilisant un composite des scores
provenant d'Arozullah et
al9,10
et des estimations provenant de l'évaluation systématique de
l'ACP,1 son
taux attendu pour toutes les complications pulmonaires, est compris entre 10%
et 20%. Sa mortalité liée à un cancer du côlon non
traité serait plus élevée que la mortalité
supposée, liée à l'opération prévue. Je
suggère que Mr A procède à l'intervention
prévue.
Mr A et son médecin, le Dr N, devront soupeser le risque de CPP et
les bénéfices qu'il pourrait tirer s'il pouvait s'arrêter
de fumer pendant les 2 mois précédant l'opération contre
la probabilité d'une évolution de son cancer du côlon sur
2 mois vers un stade où il ne serait plus potentiellement curable par
résection. Il n'est pas clair si Mr A est plus préoccupé
par les CPP possibles ou par le fait d'avoir un cancer. Quoi qu'il en soit, il
devrait continuer à recevoir un traitement médical standard pour
sa BPCO. Si le Dr N trouve que sa BPCO s'empire à l'approche de
l'intervention, Mr A pourrait recevoir un bref traitement par corticoïdes
oraux (ex: prednisone 60 mg par jour avec un dosage évolutif sur 10-14
jours) pour essayer de réduire l'inflammation qui semble aggraver
l'obstruction respiratoire. D'après les arguments des publications, ce
traitement n'augmentera pas les risques de complications sur la plaie
opératoire ou d'infections
respiratoires.65,66
Cependant, la recommandation des corticoïdes en
préopératoire est basée sur l'avis d'un expert car il
n'existe aucune donnée d'étude spécifiquement sur leur
intérêt. Il devrait recevoir un entraînement en
spirométrie incitative ou avec des exercices de respiration profonde
avant l'opération et commencer l'une de ces méthodes dès
que possible après
l'opération.57,58
Des exercices physiques avant l'opération pourraient également
être
bénéfiques,59
mais doivent faire partie d'un programme de réadaptation
contrôlé du fait de sa coronaropathie.
S'agissant de l'opération en elle même, il devrait parler
à son chirurgien pour déterminer si la laparoscopie est
techniquement possible, bien que le bénéfice apporté par
cette méthode dans la réduction des taux de CPP soit inconnu. Si
cela n'est pas possible, une incision abdominale basse, plutôt qu'une
incision s'étendant jusqu'à l'abdomen supérieur
confèrerait un risque moins élevé de CPP. Il devrait
recevoir un analgésique épidural postopératoire pour
soulager la douleur postopératoire et réduire les taux de CPP.
Il devrait recevoir une sonde nasogastrique uniquement si une distension
abdominale, de la nausée ou des vomissements en justifient le
besoin.
Mr A a également un risque cardiaque important. Un essai
randomisé, contrôlé récent sur la revascularisation
coronaire postopératoire chez des patients avec une coronaropathie
stable n'avait fait état d'aucune différence sur les
événements cardiaques après chirurgie non cardiaque
à haut risque en comparaison à un traitement
médical.30
Bien que basée essentiellement sur des données
rétrospectives, plusieurs essais et une méta-analyse
récente suggèrent une réduction des
évènements cardiaques postopératoires chez des patients
prenant de la statine
périopératoire.67-70
Les agonistes alpha-2-adrénergiques, dont la clonidine, semblent
également réduire la mortalité et l'occurrence d'un
infarctus du myocarde après une chirurgie
vasculaire.71
Il est possible, bien que non prouvé, qu'un bénéfice
similaire existe pour d'autres types de chirurgie à haut risque, comme
la chirurgie d'un cancer du côlon. Pour finir, l'intérêt
des β-bloquants périopératoires a été
récemment mis en question par plusieurs essais négatifs de
grande taille et une méta-analyse
récente.72-74
Une idée générale est en train d'apparaître qu'ils
pourraient être principalement employés chez des patients
à risque élevé subissant une chirurgie
vasculaire.75
Etant donné le risque potentiel de bronchospasme de Mr A, et les
données des essais récents, je suggère au Dr N de
considérer pour Mr A les statines périopératoires et la
clonidine.
QUESTIONS ET DISCUSSION
QUESTION: Vous n'avez pas une seule fois mentionné les <<
gaz du sang >>. Et l'autre chose qui m'avait rendu un peu nerveux à
propos des corticoïdes est que vous avez dit que la plupart des
données proviennent des asthmatiques. Ils sont
généralement beaucoup plus jeunes que des gens de 60 à 69
ans, et je me demande jusqu'à quel point ces données peuvent se
généraliser à Mr A.
DR SMETANA Certaines publications plus anciennes suggèrent
que l'hypercapnie, plus particulièrement, ou l'hypoxémie,
pourraient être des contre-indications relatives ou absolues à la
chirurgie. Mais plus récemment, il a été montré
que ce n'est pas le cas. Quelques rapports se sont intéressés
à l'hypercapnie, par exemple dans les interventions à haut
risque, comme la résection du poumon, et ont trouvé qu'elle
n'augmentait pas le risque et n'était pas une contre-indication
absolue.31,76
Dans certaines études, l'hypoxémie a été
montrée comme étant un indicateur indépendant de CPP,
mais des valeurs anormales ne représentent pas nécessairement
une contre-indication absolue à la
chirurgie.33,77
En général, les anomalies des gaz du sang montre une
corrélation assez bonne avec la sévérité de la
BPCO, basée sur l'évaluation clinique. Elles ne constituent pas,
en général, des résultats inattendus ou surprenants.
Concernant les données sur les corticoïdes, vous avez raison de
dire que la plupart des preuves proviennent de patients asthmatiques
d'habitude plus jeunes et ayant moins de comorbidités. Il peut y avoir
certaines difficultés à le transavec une exacerbation de la BPCO
serait vraisemblablement notablement plus élevé que pour un bref
traitement aux corticoïdes.
QUESTION: Pouvez vous commenter sur l'évaluation
fonctionnelle avant l'opération, comme l'utilisation d'un test de
marche de 6 minutes ou une étude de l'épreuve d'effort
cardio-pulmonaire?
DR SMETANA Beaucoup des publications sur les tests fonctionnels
concernent la population de résection pulmonaire. Mais il existe
quelques publications s'intéressant aux patients subissant une
chirurgie autre qu'une résection, comme une chirurgie abdominale
à haut risque.
Il semble qu'il y ait une tendance vers l'augmentation des complications
pulmonaires chez des patients qui font état d'une faible
capacité d'effort, mais elle n'est pas significative dans la plupart
des
publications.78
Dans des études portant sur les épreuves d'effort
cardio-pulmonaire dans la stratification du risque, les résultats
suggéraient généralement que les patients qui avaient de
mauvaises performances à ces tests avaient un risque plus
élevé de
CPP.79,80
Il est probable que les praticiens pourront identifier les patients qui auront
de mauvaises performances sur les épreuves cardio-pulmonaires
uniquement sur des bases cliniques, mais la publication n'avait pas
exploré cette question.
QUESTION: Cet homme a essayé d'arrêter de fumer
plusieurs fois; pensez-vous qu'il devrait réellement retarder la
chirurgie de 2 mois? Ou peut-être devrait-il se concentrer sur quelques
semaines de spirométrie incitative et probablement sachant, vu
l'anxiété liée à la chirurgie, qu'il ne va
probablement pas s'arrêter de fumer en rester là. Je veux dire,
comment vous situez-vous par rapport à son médecin traitant?
DR SMETANA C'est un point où le médecin traitant doit
jouer un rôle important. Le succès de Mr A pourrait
dépendre, jusqu'à une certaine mesure, de son niveau
d'information sur les risques associés à la cigarette et quels
sont les bénéfices à gagner en réussissant
à cesser de fumer pendant une période de 2 mois. Peut-être
cela ne lui a jamais été présenté de
manière à ce qu'il puisse y voir un bénéfice
concret potentiel. Dans un essai randomisé, contrôlé
unique, concernant une intervention chez des patients ayant cessé de
fumer, les investigateurs ont réellement pu amener plus de la
moitié des patients à cesser de fumer avant l'opération,
y compris des fumeurs de longue
date.41 Donc
dans une situation telle que celle-ci, où Mr A est mis en face d'un
scénario de risque élevé, il pourrait avoir plus de
motivation que ce qu'on verrait dans un autre cas de figure.