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Francisco Goya, 1806, Bandit assassinant une femme, Espagnol, 1806. © Collection privée
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Les secrets de la douleur et les puissances du désir ont pris la peinture pour demeure !
Goya achève le vieillissement de la vieille Europe, et ses fabuleux effets dart ont conservé et ont gardé le même impact, suffocant !
Dans lart pictural, après lère de la peinture religieuse, les classiques du 17ème ont créé des codes nouveaux, totalement inédits. Mais Goya est la modernité. Celle-ci invente la brûlure de la présence et saccage lillustration : il montre la réalité. Il nous entraîne sur des rives entre laffect profond et une vérité créatrice ; il peint ce quil voit, car il nentend pas. Ce quil voit le choque et le conduit à peindre aux confins de brumes fatiguées et dimages fabriquées et tragiques.
Il peint et a peint toutes les guerres de tous les temps et toutes celles du dedans de lêtre humain. Sa peinture est le lieu dinventions, dénigmes et de chaos. Ne peut-on dire quil a inventé limage en trois dimensions ? Lart des batailles et des grandes fresques ont souvent fait lœuvre dun peintre, mais Goya, dans sa solitude sensorielle, sécarte des chemins de lart de son temps ; drame intime de la maladie et de la surdité !
Si Goya élargit un espace pictural, cest dabord parce quil élargit son espace mental. Il part des soubassements inexplorés du psychisme primordial. Nous voyons dans les voilements de son œuvre, dans les replis étouffés, une violence aiguë, la densité du métal aux allures infernales et des présences décapantes de sources convulsives venues soudainement du fond des âges. La surface des choses est balayée par le pinceau, le paysage évidé et lespace tout entier est pris dans un étau, celui dun temps arrêté fait dhorreurs, de désastres et de désolation.
Peindre, dessiner, graver sont des activités physiques et la plénitude inventive fait place au surgissement instantané de fantasmes majeurs.
Les dessins féroces et grotesques de Goya sont dâpres et dinquiétants gros plans sur lorigine de lhomme.
Dans le tableau que nous présentons aujourdhui, des forces souterraines sont en action sur cette toile : les secrets de la douleur et les puissances du désir ont pris la peinture pour demeure. Ainsi naît la vie troublante et corrosive de cette œuvre, fut-elle née sur un fragile support de papier.
Goya creuse chez lhomme le côté obscur. Ses peintures reflètent durement lopacité et ses sujets percent la nuit et les flaques de ténèbres bouleversant la normalité. Des démons séveillent et dévorent à vif linnocence et linconscience des victimes. La nuit éloigne à linfini le réel, et lhumain est déconnecté de son monde. Celui qui peint lenvers du décor, peint ici en réalité lanimalité refoulée de lâme et les élans torturés sculptés par les racines de la vie.
Les toiles de Goya sont envoutées, obsessionnelles, débauchant la mondanité, et sont les formidables démonstrations dune imagination saisissante, fouillant linsondable et linterdit. Le lieu de la scène est inévitablement le corps de la femme, sans défense. Il ne sagit plus du corps idéal dédié aux illusions de la peinture italienne, mais dun corps confronté à la souffrance et à la douleur. Le sanglant regard et la violence de lhomme en action au premier plan sur la toile annoncent linévitable désastre : lassassinat de la jeune femme.
Si Goya sublime une peinture pourtant si terrifiante à la fin dune époque qui ne sera plus, cest parce quil nappartient pas à ce monde !
Il nentend pas les sons dune nature, la douceur ou la violence de la musique ne lui parviennent pas. La peinture de Goya est dabord une chair dépouillée de ses apparences, cherchant léternel drame. Il ny a pas dhorizon, pas de fuite possible, et des regards éteints. Goya vit le conflit sans le nier, il impose la guerre comme création, à lautre, aux autres.
Si Goya est surtout célèbre pour ses peintures retraçant lHistoire, cette œuvre, « Bandit assassinant une femme », peinte en 1806-1808, nest peut être pas le titre le plus approprié à cette toile.
Est-ce la main du peintre dans la sombre lumière, tenant son pinceau ou celui de lassassin tenant son couteau ? Lextrême vitalité et passion de la scène dénonce sans le dissimuler le violent désir du peintre de vouloir sauver la vie et non dengendrer la mort. Le conflit est terrible, cest la vie contre la mort !
La surdité de Goya ne la pas éloigné de la vie, mais lui a donné dêtre le peintre de la vie totale et réaliste. Goya, à son époque, a su exprimer quun handicap majeur nest pas un manque de communication, peut-être nous a-t-il transmis ce message : lhomme a besoin de damour !