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Carolus-Duran (1838-1917): Le baiser, français, 1868 © Palais des Beaux-Arts, Lille, France
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Le choix de ce tableau nest pas anodin. Il est vrai quun choix implique toujours une prise de décision quelle fasse ou non lunanimité. Nous avons donc choisi le tableau dun peintre que lon a qualifié à une certaine époque de « moderne ». Carolus-Duran, moderne ! Quel choix étrange pour un peintre qui fut loin de rassembler sur son nom lensemble des critiques. Nom dailleurs étrange pour un peintre bien français.
Lillois de naissance, Charles Durand a tôt voulu sortir de lanonymat où lavait plongé son patronyme. Que les Durand de France nous pardonnent, mais quand on est peintre et dun talent contesté, on essaie de briller comme lon peut. Sans être aussi méchant que Thadée Nathanson (qui se souvient de lui ?), qui, en 1943, ne retenait comme trait de génie du peintre que le choix de son nom, il convient de dire que Carolus-Duran, en dépit du nombre impressionnant dœuvres quil laissa, ne fut pas un artiste de génie. Un bon peintre sans plus, mais déjà un bon peintre.
Il est aussi vrai que les peintres de cette époque, que lon redécouvre périodiquement, avaient une maîtrise technique de leur art que certains peintres actuels pourraient envier.
Peintre de la bourgeoisie, admirateur et ami de Manet (mais sans légaler) et de Vélasquez (mais sans le génie sombre et moderne de celui-ci), Carolus-Duran est né à Lille en 1837 et est mort à Paris en 1917. Certaines encyclopédies lui dédient un homme fort bref, souvent en trois lignes. Trois lignes, cest déjà beaucoup pour un peintre qui a côtoyé un siècle de peinture marquée par le génie des uns et des autres. Se faire une place quand vos contemporains sappellent Manet, Sisley, Renoir, Courbet, Van Gogh, Degas. Difficile !
Fallait-il pour autant ne voir en lui quune peintre « tapageur et vulgaire » comme le décrivait Emile Verhaeren, un homme de « mauvais goût ».
Fallait-il le décrire comme la fait le tempétueux Emile Zola comme un élève de la nouvelle école. Ecoutons Zola à propos de Carolus-Duran : « Carolus Duran est un élève de la nouvelle école. Je loffenserais beaucoup, sans doute, en le traitant de disciple de Manet. Mais linfluence est incontestable. Seulement Carolus Duran est un adroit ; il rend Manet compréhensible au bourgeois (auquel on sen doute Emile Zola ne prêtait aucune qualité morale et intellectuelle, mais de cela on sen doute), il sen inspire seulement jusquà des limites connues, en lassaisonnant au goût du public. (Cela dit, Zola, ne lassaisonnait pas en écrivant cela, il lassassinait). Ajoutez que cest un technicien fort habile, sachant plaire à la majorité (on voit quà cette époque déjà, il sagissait dun défaut). Il jouit dune grande renommée (ce qui nest jamais bon), pas aussi solide que celle de Cabanel (1823-1889, qui sen souvient ? Il fut lun des maîtres de Carolus Duran), mais plus bruyante : cest celle dun artiste dont on craint encore quelque incartade peu convenable... Bref, cest un talent très intéressant mais dune originalité douteuse ».
Lorsquon parle de Carolus Duran, le nom de Manet revient sans cesse. Manet et Carolus Duran, une amitié entre les deux peintres dont on a beaucoup parlé. Le premier influençant le second ou le second ne reprenant que les défauts du premier. Cest une question non résolue à ce jour.
Lœuvre de Carolus Duran, extrêmement variable, a couvert un ensemble très éclectique. Connu de la bourgeoisie pour ses portraits classiques et de qualité variable (comment peut-on alors le qualifier de « moderne »), il peindra ainsi jusquà la fin de sa vie.
Peintre officiel, il tomba dans loubli, emporté par la tourmente des impressionnistes, mais il demeura le peintre officiellement reconnu et admiré de la IIIè République (quand on regarde son œuvre, on ne peut en effet sempêcher de penser que cet homme se moula dans son époque et quil colla parfaitement à ce renouveau bourgeois quelle incarnait).
Avec Puvis de Chavannes et Messonier, il fonde la Société Nationale des Beaux-Arts en 1890 (il a alors 52 ans), un âge respectable à cette époque pour un homme qui létait encore plus) et terminera Directeur de lAcadémie de France à Rome de 1904 à 1913.
Fut-il décadent, classique, moderne ou romantique ? Probablement tout à la fois et trop à la fois pour ceux qui ne jugeaient et ne juraient que par leur école. Faut-il en effet classer ce peintre ? Le plaisir de créer nétait-il pas suffisant pour Carolus Duran ? En sortant des écoles et de ce quelles ont de restreint, on peut aujourdhui apprécier ce peintre pour ce quil a laissé de meilleur et qui lui a probablement valu autant de mépris de ne pas avoir toujours été compris à une époque qui évoluait vite et où la recherche et la création triomphait du classicisme.
Le tableau en couverture (Le baiser) appartient à cet héritage composite du peintre. Le baiser est tout à la fois, moderne, osé pour lépoque (on avait sans doute oublié les ébats des sujets de François Boucher), romantique et académique. Peint par Manet, on aurait crié au génie, peint par Carolus Duran on a dit : « ce charriage de peinture poussiéreuse », et pourtant, que de charme dans ce baiser !