Renoir a peint une quantité considérable de natures mortes.
Ces œuvres, reflet souvent du travail mais aussi de
l'indépendance de l'artiste, attirent souvent des réflexions du
style: « je n'aime pas les natures mortes ». Les musées en
possèdent pourtant des centaines de toutes époques et de tous
pays.
La nature morte est un sujet qui a évolué au cours des
siècles jusqu'à notre époque moderne qui en consomme en
grande quantité, y compris sur les affiches publicitaires, bien que
certains puissent objecter que le sujet est ici le message de la marque
plutôt que la nature morte elle-même.
Lorsqu'on remonte le temps, on s'aperçoit avec surprise que la
nature morte était déjà prisée à
l'époque des pharaons égyptiens, où sa symbolique
était sans doute différente, puisqu'elle accompagnait, dans
l'opulence des images représentées, le mort lors de son voyage
dans l'au-delà. Mais on trouve des descriptions de nature morte dans
l'antiquité grecque et romaine, il suffit de regarder les fresques de
Pompéi et d'Herculanum. Au Moyen Âge, la toute puissance de
l'église a mis la nature morte au banc des peintures autorisées
et seules les représentations de scènes bibliques trouvaient
grâce aux yeux des prélats.
Il fallut attendre, Saint-François d'Assise et Saint Thomas d'Aquin
pour que l'église se réconcilie avec la nature. Surprenant de
voir à quel point quelques hommes, au nom de leur église, ont pu
refuser la représentation de l'œuvre de leur Dieu. Toutes les
religions ont ce genre d'interdit, sans que l'on ne sache vraiment pourquoi.
Toujours est-il que la nature morte revient à la mode. Une mode
tempérée toutefois, car on ne laisse pas les peintres faire
n'importe quoi. Il est de bon ton d'ajouter au temporel (fruits, gibier,
vin...) un élément rappelant à l'homme qu'il n'est pas
éternel et que les choses de ce bas monde sont des objets de luxure
dont il faut se méfier. C'est l'époque où l'on ajoute une
montre, un sablier, une pendule pour rappeler le temps qui passe.
La nature morte devient alors à la mode, mieux, la mode, d'une part
parce qu'elle permet aux peintres d'échapper au genre religieux,
d'autre part parce qu'elle leur permet une libre composition du sujet et enfin
parce qu'elle plaît au public qui en redemande. Le peintre trouve
là une occasion d'exercer son habilité et son art tout en
assurant ses revenus. Aujourd'hui, combien de peintres amateurs n'ont un jour
essayé de peindre une nature morte? Probablement très peu, et
ceux qui ne l'ont pas fait, se doivent de le faire rapidement, car le sujet
est difficile et rendre la vie à une œuvre que l'on appelle
improprement nature morte est un art complexe.
Le terme de nature morte vient en effet de Stilleven (flamand) ou
Stillleben (allemand) qui signifie réellement nature immobile, calme,
ne bougeant pas, mais aucunement nature morte.
Le français l'a traduit ainsi, ce qui en fait quelque chose d'un peu
morbide, mais c'est ainsi et nous l'avons adopté comme tel.
Paradoxalement, la nature morte est devenue à la Renaissance un
objet de propagande politique et religieuse, car si les catholiques,
après l'avoir interdite, se l'était appropriée, les
protestants européens, revenant en arrière, y voyait une
atteinte à l'œuvre divine, et l'avait donc interdite. Chacun
marquait son camp, et si l'on ne s'envoyait pas les fruits et légumes
à la tête, cela revenait au même.
On aurait pu croire que l'arrivée de l'impressionnisme, en
privilégiant la lumière et l'impression de l'objet, allait
modifier la façon de présenter les natures mortes, mais il n'en
fut rien, et ni Manet, ni les autres impressionnistes n'ont apporté de
modifications majeures dans la composition des tableaux. Celles de Renoir (et
il en peignit beaucoup) sont certes lumineuses, les couleurs chaudes et
vibrantes, mais la composition reste la même. Il fallut donc attendre un
certain Cézanne pour que les natures mortes évoluent. En
changeant la perspective et la représentation, Cézanne ouvrait
la voie aux cubistes et à l'art moderne.
De nombreux amateurs, y compris des amateurs d'art, sont souvent
déçus par les tableaux de Cézanne, mais ce peintre a su,
le premier, faire évoluer l'objet dans un cadre différent que la
représentation classique et que cet homme l'ait fait à une
époque empreinte de tout le classicisme et l'académisme du
19ème siècle, en dit long sur son génie.
Aujourd'hui, la nature morte est toujours présente dans l'art
moderne. On l'a déstructurée, triturée, refondée,
re-colorisée, commercialisée, mais elle est toujours là.
La photo s'en est emparée et la traite « dans tous ses
états ». Et si demain, la nature morte devenait
moléculaire? Ne voyons-nous déjà pas des
représentations d'atomes et autres particules?
Une autre vie pour la nature morte dans les siècles à
venir?