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Bernardo Strozzi (1581-1644)
Jean Gavaudan, MD
Bernardo Strozzi est né à Gênes bien qu'il soit
considéré comme l'un des peintres majeurs de l'école
vénitienne. Cette renommée, il la doit d'abord à son
talent personnel, bien que fortement influencé par Rubens et Van Dyck,
(ils avaient tous deux séjourné à Gênes), mais
aussi au Caravage, dont la marque est manifeste dans son oeuvre. Malgré
l'apport puissant de ces aînés, Strozzi a su développer
son propre style, plus léger, plus aérien et plus lumineux que
les maîtres l'ayant influencé. L'évolution de sa peinture
s'explique par sa migration de Gênes à Venise où la mode
picturale était plus portée vers le soleil, la lumière et
la légèreté que vers l'école
flamande.
Pourquoi a-t-il quitté Gênes alors que l'école
génoise de peinture était extrêmement influente à
l'époque de Strozzi ? Parce que les circonstances de la vie ont fait de
ce peintre génois, un maître vénitien.
Né en pleine époque du baroque, il rejoint à
l'âge de 17 ans un monastère de Capucins, branche de l'ordre des
Franciscains. L'ordre des Capucins, à cette époque, n'est pas
pour un jeune homme, plein de vie, la chose la plus aisée à
aborder. Les Capucins, vivent dans le dénuement, la pauvreté.
Ils font voeu de pauvreté et vivent d'aumônes par delà les
chemins, et, même si une décision papale les avaient pour un
temps confinés pour des raisons politiques dans leurs couvents, leur
mission restait bien d'aller de par le monde. En 1574, dès que
Grégoire XIII leur redonne leur liberté, ils se répandent
en Europe et arrivent avec Catherine de Médicis en France où ils
prennent une part active à la contre-réforme. Ils seront
à l'origine de la partition entre Flamands et Wallons, au-delà
des barrières linguistiques. Deux capucins joueront un rôle
important dans nos sociétés, le premier le père Joseph du
Tremblay (dit père Joseph), ombre pensante et serviteur
zélé du Cardinal de Richelieu, et plus récemment un homme
que nos générations connaissent pour son aura médiatique
et son action contre la pauvreté, l'Abbé Pierre.
Mais nous partageons la vie d'un jeune homme de 17 ans à qui l'on
demande de renoncer à tout et de se consacrer à la
pauvreté. Difficile, même à cette époque ! Bernardo
Strozzi le fait (avec bonne ou mauvaise grâce). Lorsque son père
meurt en 1608, sa mère malade et désormais veuve sans ressources
est la raison suffisante pour quitter son ordre et se consacrer à son
assistance.
Il peint pour assurer les ressources nécessaires à sa
mère et à lui-même. Nous sommes toutefois dans une Italie
dominée par la toute puissante église catholique romaine qui
voyait le diable et le mal à peu près partout, sauf où il
était probablement, c'est-à-dire au Vatican.
On l'accuse de pratiquer la peinture de façon illégale, il
s'empresse de regagner l'ordre des Capucins. Ceci n'empêche pas
malheureusement de l'envoyer en prison à Gênes.
Pour échapper à l'emprisonnement définitif dans un
monastère en 1631, sa mère étant
décédée en 1630, il s'échappe vers Venise la
libérale. On l'appellera pendant le reste de sa vie, il prete genovese
(le prêtre de Gênes).
Sa renommée vénitienne, il la doit à une commande de
Claudio Monteverdi, que nous présentons en couverture.
Désormais, son talent s'affirme, il peint de nombreux portraits et
tableaux religieux dans lesquels il exprime toute l'émotion du
Caravage, les influences de Rubens et de Véronèse, mais aussi
son âme propre, dans un style plus aérien et moins sombre que
celui du Caravage. Il est aussi probable quand on examine le portrait de
Monteverdi qu'il a été fortement influencé par Velasquez
(qui avait visité Gênes en 1629-30). Monteverdi est, au
début de ce 17ème siècle, un musicien majeur. Il est non
seulement considéré comme le créateur de l'opéra,
mais son aura dépasse déjà la seule ville de Venise. On
sait quelle influence aura Monteverdi sur toutes les générations
futures de musiciens d'Haendel à Mozart en passant par
Jean-Sébastien Bach. Lorsque Strozzi peint Monteverdi, celui-ci a
déjà 73 ans, il est malade et vit les dernières
années de sa vie (il mourra trois ans plus tard). Strozzi a peint un
Monteverdi à son avantage, le teint est encore frais, le visage n'est
pas ridé, bien que la barbe et les cheveux soient grisonnants, il pose
les mains sur une partition ou un livret et regarde fixement le peintre. C'est
son immortalité que nous rend Strozzi.
Monteverdi mourra à Venise en 1643. Strozzi le suivra un an
après.
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