Né en Bourgogne à Tournus, un été pluvieux,
marqué par des dégâts et l'installation d'une disette dans
le Nord de la France, Greuze ne savait évidemment pas lors de sa
naissance qu'il finirait sa vie pratiquement dans les mêmes conditions
que celles ayant marqué sa naissance.
Ce jour-là, Greuze arrive pourtant au monde dans une famille
aisée de Bourgogne, à l'époque d'un jeune roi, Louis XV,
qui, quelques jours après la naissance de Greuze, épousait une
polonaise, Marie Leszczynska, fille du roi de Pologne Stanislas
Leszczyski. Il restait 64 ans à vivre à la
Royauté.
Mozart n'était pas encore né, mais Jean Sébastien Bach
offrait ses « Suites Anglaises ».
Le monde était dur, la noblesse dorée, le peuple souffrait de
disette, les états avaient provisoirement remis leur épée
au fourreau. Une certaine stabilité s'était installée
dans le pays et en Europe.
Et Greuze dans tout cela?
Sera-t-il peintre? Rien n'était moins certain. De nombreux
biographes ont écrit qu'il s'était formé lui-même,
sans aucune aide. Probablement pas. Un certain Grandon, peintre portraitiste
lyonnais, a contribué à sa formation et lui a permis, en
l'emmenant avec lui, de découvrir Paris, mais aussi de suivre des cours
à l'Académie Royale.
Greuze aurait pu commencer plus mal. Il a une bonne étoile qui
veille sur lui. Il arrive ainsi dans la vie que certains aient une voie toute
tracée, une chance qui s'acharne sur eux. Destin ou circonstances? Que
la chance se soit acharnée sur Greuze, c'est vraiment le terme. Car,
Greuze aura toujours eu un caractère difficile et ses relations avec
l'Académie Royale où il finira par entrer n'auront jamais
été des relations cordiales et faciles.
J.B. Greuze est un têtu, il veut être considéré
comme un peintre historique. On le prend pour un peintre de genre. Il
s'entête et présente à l'Académie
"Sévère et Caracalla". Ce tableau est voisin de deux
autres de ses compositions: le portrait de "Jeaurat" et son
admirable "Petite Fille au chien noir". Heureusement pour lui.
L'Académie l'accepte comme l'un de ses membres, en tant que peintre
de... genre.
Greuze est furieux, mais se contient, surtout lorsque le Directeur de
l'Académie, le jour de sa réception lui dit: « Monsieur,
l'Académie vous a reçu, mais c'est comme peintre de genre; elle
a eu égard à vos anciennes productions, qui sont excellentes, et
elle a fermé les yeux sur celle-ci, qui n'est digne ni d'elle ni de
vous. » La phrase était dure, mais on savait encore à
cette époque dire les choses telles qu'elles étaient et non pas
telles qu'on voulait les entendre. A partir de ce jour, Greuze ne cessera de
se quereller avec ses pairs. Il finit par ne plus exposer.
Greuze a été à la fois fortement critiqué (voir
Diderot) et adulé dans sa vie. La force de sa peinture tient dans ses
peintures de genre, mais, plus que sa peinture, que beaucoup trouveront
artificielle, Greuze trouve sa force en ses modèles. On lui reprochera
une exagération mélodramatique. Son dessin est toutefois fin et
brillant, sa peinture est fraîche, sensuelle, vigoureuse à
certains moments, et ses sujets donnent une impression de douceur, de
santé, de jeunesse. Quand on voit ses autoportraits, on peut se
demander si Greuze n'a pas peint ce qu'il n'était pas ou a peint ce
qu'il aurait voulu être. A une époque de libertinage, Greuze a
souvent pris le thème de la virginité comme
élément de ses tableaux. Virginité brisée et
évoquée de façon symbolique par des cruches
brisées ou autres allusions. La peur de dire tout haut ce qu'il pensait
tout bas en somme. Le peintre cachait un homme qui cachait ses
désirs.
Dans le portrait présenté, Greuze a-t-il peint Mozart lorsque
celui-ci est venu à Paris dans un anonymat quasi-complet, un Paris qui
ne le verra pas ou qui l'ignorera? Ce portrait est d'une origine douteuse
comme beaucoup de portraits de Mozart. Il est daté de 1763-1764. Mozart
aurait donc eu 4 ou 5 ans. En dépit de la précocité de
son génie, aidé par son père Léopold, le jeune
garçon du portrait paraît plus âgé. Effet de la
maturité ou faux portrait de Mozart? Ceci n'a jamais été
confirmé et le doute est de rigueur bien que le style s'apparente
à celui de Greuze.
Mais, la Révolution est là, Greuze n'est pas noble. Il
sauvera sa tête. En 1804, l'Académie ouvre ses portes à
tout le monde, l'époque de Greuze est passée. Malgré un
portrait de Napoléon Bonaparte, il meurt au Louvre dans un grand
dénuement le 4 mars 1805.
La chance l'avait abandonné ou son caractère l'avait
rattrapé. Une époque tourmentée avait emporté un
autre siècle et ses sujets avaient disparu avec lui. Le temps des
tambours, du canon et des drapeaux était venu. Greuze, le
sophistiqué, celui des derniers rois, disparaissait à 80 ans
avant de voir Austerlitz. Le Louvre l'avait recueilli, Le Louvre aujourd'hui
l'expose. C'est une invitation à aller le revoir et admirer son style,
si contemporain de Louis XV.