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  Vol. 298 No. 1, 4 juillet 2007 TABLE OF CONTENTS
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Henri Marie Raymond de Toulouse-Lautrec-Monfa, (1864-1901)

Jean Gavaudan, MD

Henri Marie Raymond de Toulouse-Lautrec-Monfa ou Toulouse-Lautrec descend d'une vieille famille française dont la noblesse remonte au 13ème siècle et apparentée aux fameux comtes de Toulouse, eux-mêmes descendants de Simon de Montfort, le sinistre boucher de Montfaucon. C'est avec Alexandre II, que les vicomtes de Lautrec deviennent comtes de Toulouse-Lautrec, vicomtes de Montfa, soit aux 17-18ème siècles.

Henri aurait probablement eu une enfance et une vie différentes si sa mère et son père, cousins germains, n'avaient convolé en injustes noces. Car, dans ces familles nobles, au sein desquelles le patrimoine constituait la seule richesse, on gardait les biens dans la famille en se mariant si possible entre cousins. Malheureusement, à cette époque, on ignorait à peu près tout des maladies héréditaires. Ce mariage fit le malheur d'Henri (et de son frère qui décéda précocement). Sans lui, il n'y aurait certes pas eu Henri, mais en imaginant que ce génie du dessin ait eu une vie et un développement normal, peut-être aurait-on pu écrire, Henri de Toulouse-Lautrec, cavalier émérite, au lieu de peintre et lithographe français né à Albi et mort à Malromé. Car les chevaux ont été la passion du jeune Toulouse-Lautrec et il les a montés avec brio jusqu'à sa première fracture du fémur gauche, suivie d'une fracture du fémur droit.

On le traita avec les moyens de l'époque, c'est-à-dire sans grand discernement, avec des décharges électriques sensées stimuler la croissance osseuse, puis en le faisant marcher avec des semelles de plomb. C'est peut-être ce dernier épisode qui lui fera dire un jour en dérision : « On ne meurt pas d'un trou à son pantalon, sauf si l'on est scaphandrier ».

Meurtri dans sa chair, cet être blessé au plus profond de lui-même, trouvera un réconfort dans l'humour, forme dérisoire d'existence et d'oubli, l'alcool qu'il consomma sans modération : « Je boirai du lait quand les vaches brouteront du raisin » disait-il, et la fréquentation du monde, à s'en étourdir. Pas que du beau monde, que son titre de comte lui autorisait mais que sa laideur et son exhibitionnisme lui refusait, mais aussi le petit monde, celui du peuple et des cabarets, celui de la fête où l'on boit et l'on oublie que l'on a bu, parce qu'on a trop bu, celui des prostituées qu'il fréquenta aussi sans modération et qui lui valurent d'attraper la syphilis, comme si la liste de ses malheurs n'était pas suffisamment pleine.

Lorsqu'il naît en 1864, Henri, dont le nom est synonyme de patrimoine de la France, n'est que l'ainé d'une famille de petite noblesse, branche cadette des comtes de Toulouse. Noblesse provinciale où un sou est un sou et où on compte les dépenses. Mais il y a aussi le paraître au sein de ces castes, et un rejeton petit (1,52 m) et laid n'est qu'un épouvantail. L'argent, les tensions nées de la présence de cet enfant à moitié nain, à moitié adulte, entraîne la séparation de ses parents.

En 1874, débutent les premiers signes de cette maladie qui allait handicaper ce génie du dessin, l'osteogenesis imperfecta. La maladie des os de verre ou ses nombreux synonymes se manifeste différemment selon les formes de sévérité. Par déficience en collagène de type I, les os sont fragiles, se cassent au moindre choc, les dents et les yeux peuvent être également atteints. Dans de nombreux cas, les parents sont suspectés de maltraitance, avant qu'un diagnostic ne soit fait. Le jeune Henri a une forme héréditaire, ses deux parents, cousins germains, lui ayant transmis la mutation génétique. Ce n'est certes pas cela qui lui fera dire à son père sur son lit de mort : « Vieil imbécile! » mais probablement plus son mépris des conventions et du monde fermé de la petite noblesse, lui qui avait fréquenté le monde de la fête et y avait trouvé tant d'humanité. Henri avait un tronc de taille normale, mais une tête difforme. Dans cette maladie, elle est souvent triangulaire, ce qui se remarque sur les photos de Toulouse-Lautrec, ses lèvres et son nez étaient épais, il bavait et zézayait en parlant. Ce nabot grotesque avait de vilains yeux noirs. Henri avait donc tout pour déplaire, mais il sût séduire. Il joua de sa laideur, volontiers provocateur, déclenchant le malaise chez les autres dès qu'il en avait l'occasion. Au fond, il était regardé comme un animal étrange, en contre partie il observait le regard des autres lorsqu'il provoquait. Mi-torturé, mi-voyeur dans cette provocation dont il jouissait.

Ses chutes lui interdirent à jamais le cheval, il décida donc de devenir artiste, après son baccalauréat à Toulouse, soutenu par son oncle Charles et René Princeteau, ami de son père et peintre animalier. Après son initiation à la peinture et au dessin dans différents ateliers qu'il n'est pas nécessaire de nommer tant l'homme Toulouse-Lautrec est plus intéressant que ses maîtres, il devint par son génie un des peintres majeurs du post-impressionnisme, illustrateur de l'Art nouveau et un des plus grands lithographistes. Toulouse-Lautrec restera « l'âme de Montmartre », du Moulin Rouge, boulevard Clichy, des cabarets et théâtres montmartrois ou parisiens, mais aussi des maisons closes qui lui fourniront nombre de ses modèles de nus féminins au port sans complexes, à la chair un peu fade, mais à la nonchalance érotique très étudiée et remarquablement représentée.

Qui aurait connu Louise Weber, dite La Goulue, danseuse excentrique, reine et créatrice du « cancan » sans Toulouse-Lautrec? Que serait devenue Suzanne Valadon, un de ses modèles (sa maîtresse?) sans Toulouse-Lautrec? Car, derrière ce corps difforme, existait un génie de la peinture et de l'instantané. Ses coups de crayons sont autant de clichés pris sur le vif. Avec Toulouse-Lautrec chantent la mine et le plomb, dont il était si fier. « Les crayons, c'est pas du bois et de la mine, c'est de la pensée par les phalanges. » Le monde des cabarets lui doit beaucoup, Toulouse-Lautrec nous en a donné des images lumineuses, gaies, vivantes, sur un air d'Offenbach. Lui était malade, sombre, alcoolique, syphilitique, peut-être tuberculeux. Il lâcha prise juste avant sa mort en entrant dans un sanatorium à Malromé. A 37 ans, il mourrait. On dit qu'en voyant son père, il ne put s'empêcher de proférer une dernière provocation à ce passionné de chasse : « Je savais que vous ne manqueriez pas l'hallali ».

Pétri d'humanité, il n'avait pas pardonné son enfance difficile et le manque d'amour de ses parents. Et si lui, qui tournait tout en dérision, n'avait pas raison en disant: « Quand on dit qu'on se fout de quelque chose, c'est qu'on ne s'en fout pas. » A 37 ans, ce géant s'éteignait entouré de nains.







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