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PAGES DU PRATICIEN
Prévention des escarres: une revue systématique
Madhuri Reddy, MD, MSc;
Sudeep S. Gill, MD, MSc;
Paula A. Rochon, MD, MPH
RÉSUMÉ
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Contexte Les escarres ont une incidence fréquente selon les
différents milieux hospitaliers et sont associées à des
évolutions cliniques défavorables, ainsi qu'à des
coûts thérapeutiques élevés.
Objectif Effectuer une revue systématique des données
évaluant les stratégies préventives des escarres.
Sources de données et sélection des études Des
recherches ont été effectuées dans les bases de
données MEDLINE, EMBASE, CINAHL (du début jusqu'en juin 2006),
et celle de la Cochrane Library (jusqu'au numéro 1, 2006), pour
identifier les études contrôlées randomisées (ECR)
pertinentes. Des recherches ont également été
effectuées dans les bases de données UMI Proquest Digital
Dissertations, ISI Web of Science et CSA (Cambridge Scientific
Abstracts). Toutes ces recherches ont été basées sur
l'utilisation des termes ulcère de pression, plaie de décubitus,
décubitus, escarre, prévention, prophylactique,
réduction, randomisé, et études cliniques. Les
bibliographies des articles identifiés ont également
été analysées.
Synthèse des données Cinquante-neuf ECR ont
été sélectionnées. Les interventions
évaluées dans ces études ont été
classées en 3 catégories, selon qu'elles traitaient la
déficience motrice, la carence nutritionnelle ou l'hygiène de la
peau. La qualité méthodologique des ECR était variable et
généralement sous-optimale. Les stratégies traitant
efficacement la déficience motrice incluaient l'utilisation de supports
adaptés, comme des surmatelas sur tables opératoires et des
surmatelas spécialisés en mousse ou en peau de mouton. Si le
repositionnement constitue un élément fondamental dans la
plupart des protocoles de prévention des escarres, les données
sont insuffisantes pour en recommander des schémas spécifiques
chez les patients atteints de déficience motrice. L'utilisation de
suppléments nutritifs pourrait être bénéfique dans
le traitement des patients souffrant de dénutrition. Pour les patients
présentant une altération cutanée, la
supériorité d'agents topiques spécifiques sur de simples
crèmes hydratantes n'est pas clairement établie.
Conclusions Selon les données actuellement disponibles,
l'utilisation de supports, le repositionnement des patients, l'optimisation de
l'état nutritionnel, et l'hydratation cutanée de la
région sacrée représentent des stratégies
adaptées à la prévention des escarres. Bien que de
nombreuses ERC aient évalué ces stratégies
préventives, une majorité présentait des limites
méthodologiques majeures. Des ERC de bonne qualité
méthodologique, conformes à des critères standard
établis pour le rapport des traitements non pharmacologiques et
fournissant des données sur le rapport coût-efficacité de
ces interventions seraient nécessaires.
JAMA. 2006;296:974-984
Les escarres sont des lésions communes, bien que
potentiellement évitables, qui sont le plus souvent observées
dans des populations à haut risque comme les personnes
âgées ou présentant un handicap
physique.1
L'épidé-miologie des escarres varie considérablement en
fonction des structures cliniques, avec des taux d'incidence variant de 0,4 %
à 38 % en soins intensifs, de 2,2 % à 23,9 % en soins longue
durée (SLD), et de 0 % à 17 % en soins à
domicile.2 Aux
États-Unis, il a été estimé que 2,5 millions
d'escarres étaient traitées chaque année dans les seules
unités de soins
intensifs.3 Le
développement des escarres peut entraver la récupération
fonctionnelle, se compliquer de douleurs et d'infections, et contribuer
à des prolongements excessifs des
hospitalisations.4
La présence d'escarres est un indicateur de pronostic globalement
péjoratif et peut contribuer à une mortalité
prématurée chez certains
patients.5,6
Outre leurs complications médicales, les escarres ont un impact
financier majeur en termes de traitement. Une étude hollandaise a
révélé que les coûts associés à leur
prise en charge étaient les troisièmes plus élevés
après ceux générés par le cancer et les maladies
cardiovasculaires.7
Le coût de la prise en charge d'une seule escarre constituée
s'élève à 70000 dollars, et le budget américain
annuel consacré au traitement de ces lésions est estimé
à 11 milliards de
dollars.8,9
Le développement des escarres peut également avoir des
répercussions juridiques majeures; ainsi, l'absence de
prévention des escarres dans des unités de soins longue
durée a entraîné une augmentation des litiges se concluant
en faveur des patients dans 87 % des
cas.10 Ces
conséquences soulignent l'importance de la prévention de cette
pathologie.
L'escarre peut être prévenue dans de nombreux cas. Une
approche préventive ciblée pourrait de plus être moins
coûteuse que celle axée sur le traitement de l'escarre
constituée.2,11
Diverses stratégies préventives ont été
proposées. Nous avons effectué une revue systématique
pour évaluer les données relatives à ces
interventions.
MÉTHODES
Sélection de l'échantillon
Nous avons effectué une recherche sur MEDLINE, EMBASE et CINAHL, des
premières données jusqu'en juin 2006, ainsi que dans la base de
données de la Cochrane Library jusqu'au numéro 1, 2006,
pour identifier les études contrôlées randomisées
(ERC) pertinentes. Nous avons également effectué une recherche
dans les bases de données UMI Proquest Digital Dissertations, ISI
Web of Science, et CSA (Cambridge Scientific Abstracts). Nous
avons utilisé les termes de recherche suivants: ulcère de
pression, plaie de décubitus, décubitus, escarre,
prévention, prophylactique, réduction,
randomisé, et études cliniques. L'un des auteurs
(M.R.) a analysé les bibliographies des articles identifiés. Les
critères de sélection des études incluaient le rapport de
critères d'évaluation objectifs et cliniquement pertinents
(comme l'incidence des escarres). Aucune restriction n'a été
définie en ce qui concerne la langue, la date de publication ou le
contexte.
Classification
Nous avons regroupé les ERC en 3 catégories, selon que
l'intervention évaluée traitait une déficience motrice,
une carence nutritionnelle ou une altération cutanée. De
précédentes études ont identifié ces
déficiences comme des facteurs de risque majeurs de
développement
d'escarres.12
Nous avons également classifié les études en fonction
de leur cadre (soins intensifs, SLD, centre de réadaptation), dans la
mesure où la prévalence des escarres varie
considérablement selon les contextes de
soins.5,13-15
Évaluation qualitative
L'évaluation de l'efficacité des traitements non
pharmacologiques, comme ceux utilisés dans la prévention des
escarres, génère des difficultés méthodologiques
spécifiques. Ainsi, il peut parfois être impossible de dissimuler
le traitement aux participants et aux cliniciens. Pour traiter ces
particularités, Boutron et
coll16 ont
récemment mis au point une check-list destinée à
évaluer un rapport d'étude non pharmacologique (CLEAR NPT). Nous
avons déterminé la qualité méthodologique des ERC
incluses dans cette revue systématique en utilisant 6
éléments de la grille CLEAR NPT: (1) adéquation de la
génération des séquences de randomisation (ou utilisation
d'une méthode appropriée pour générer la
séquence de randomisation); (2) secret de l'assignation; (3) simple
aveugle adéquat (lorsque la procédure d'aveugle était
possible); (4) aveugle adéquat des évaluateurs; (5) calendrier
de suivi cohérent; et (6) analyse en intention de traiter. (Des
détails complémentaires sont disponibles sur
http://www.bichat.inserm.fr/equipes/Emi0357/docs/usersguidelines.pdf).
Le simple aveugle et le double aveugle sont fortement associés aux
effets du
traitement.17-19
Un suivi plus intensif dans l'un des bras d'une étude (avec
repositionnements plus fréquents par exemple) peut contribuer à
une réduction des incidences d'escarres, même si cela ne fait pas
partie de l'intervention évaluée. Nous avons donc analysé
les études pour nous assurer que chaque groupe
bénéficiait de calendriers de suivi similaires, sauf pour les
études spécifiquement conçues pour déterminer la
fréquence d'application d'un traitement.
RÉSULTATS
La stratégie de recherche a identifié 763 citations, sur
lesquelles 59 ECR pertinentes ont été
sélectionnées. L'organigramme QUOROM (Quality of Reporting
of Meta-Analysis)
(Figure)
représente un résumé du processus de sélection des
études. Les 59 études sélectionnées incluaient un
total de 13 845 patients: 9 397 (67,9 %) en soins intensifs, 2 367 (17,1 %) en
SLD, 333 (2,4 %) en réadaptation, et 1 748 (12,6 %) dans des structures
mixtes. La taille d'échantillon était indéterminée
pour 1
étude.20
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Figure.. Organigramme des études incluses et exclues.
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Interventions ciblant la déficience motrice
Cinquante et une ERC évaluaient des traitements de la
déficience motrice et incluaient 11 551 patients, dont 7 984 (69,1 %)
en soins intensifs, 1 866 (16,2 %) en SLD, 333 (2,9 %) en réadaptation,
et 1 368 (11,8 %) en structures mixtes
(Tableau 1,
Tableau 2,
Tableau 3, et
Tableau 4). La
durée du suivi variait de 1 à 224 jours; elle n'était pas
clairement définie dans 5 études.
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Tableau 1.. Études contrôlées randomisées évaluant des méthodes de traitement de la déficience motrice en utilisant des supports statiques ou standard (simple aveugle difficie ou impossible) pour réduire l'incidence des escarres*.
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Tableau 2.. Études contrôlées randomisées évaluant les méthodes traitant la déficience motrice ent utilisant des supports dynamiques (simple aveugle difficile ou impossible) pour réduire l'incidence des escarres*.
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Tableau 3.. Études contrôlées randomisées évaluant les méthodes traitant la déficience motrice en utilisant des supports rotatifs (simple aveugle difficile ou impossible) pour réduire l'incidence des escarres*.
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Tableau 4.. Études contrôlées randomisées évaluant des méthodes de traitement de la déficience motrice utilisant le repositionnement, l'exercice et les soins de l'incontinence (simple aveugle difficile ou impossible0 pour réduire l'incidence des escarres.
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Supports. L'utilisation de supports adaptés (matelas, lits et
coussins) permet de réduire ou de décharger la pression
exercée par le poids corporel du patient sur la peau et les tissus
sous-cutanés, lorsqu'il est en appui sur la surface d'un lit ou d'une
chaise. Chez un patient ayant une perte de mobilité, l'absence de
diminution de cette pression d'interface peut entraîner une mauvaise
circulation et la formation d'escarres. Quarante-huit des 59 ERC de notre
échantillon ont étudié le rôle des supports dans la
prévention des escarres (Tableaux
1,
2 and
3).20-67
Les supports réduisant la pression peuvent être soit des
supports statiques (matelas ou surmatelas posés sur le matelas, remplis
d'air, d'eau, de gel, de mousse ou d'une combinaison de ces
éléments), soit des supports dynamiques (qui font varier
mécaniquement la pression sous le patient, réduisant ainsi la
durée de la pression exercée). Les supports dynamiques incluent
les matelas à pression alternée, les lits à perte d'air
mesurable, et les matelas fluidisés. Les matelas à pression
alternée produisent alternativement des pressions haute et basse entre
le patient et le support, diminuant ainsi la durée de forte pression.
Les matelas à perte d'air mesurable sont constitués de poches
à travers lesquelles passe de l'air chaud. Les matelas fluidisés
contiennent des microsphères siliconées qui se liquéfient
au passage de l'air. Les supports dynamiques sont généralement
plus chers que les supports statiques, le matelas fluidisé étant
le plus cher.
Dans une étude bien menée de 446 patients subissant une
chirurgie lourde élective, Nixon et
coll28 ont
démontré que les surmatelas spécialisés en mousse
sur les tables d'opération diminuaient l'incidence des escarres
postopératoires. Dans d'autres contextes, des surmatelas
spécialisés en mousse (mousse convolutée ou cubique,
notamment) et en peau de mouton (plus denses et plus épais que les
peaux de mouton standard) étaient les seuls supports à
présenter une supériorité constante par rapport aux
matelas hospitaliers standard dans la réduction de l'incidence des
escarres.22,23,32-34,36,40
Quatre ERC ont examiné différents types de coussins d'aide
à la prévention des
escarres.24,40,41,44
Trois études ont évalué des coussins
spécialisés en mousse, dont l'une utilisait un coussin standard
pour la comparaison et les 2 autres un autre type de mousse
spécialisée. L'incidence des escarres ne différait pas
entre les groupes de traitement. L'une de ces études, qui comparait un
coussin spécialisé en mousse à un coussin
spécialisé constitué d'une combinaison de mousse et de
gel, a trouvé que ce dernier était significativement plus
efficace.40
Quatorze ECR ont comparé directement les supports dynamiques et
statiques.46-59
L'étude la mieux conçue était celle de Vanderwee et coll,
46 qui ont
étudié 447 patients et n'ont trouvé aucune
différence dans l'incidence des escarres entre les supports dynamiques
et statiques. Seules 3 études ont trouvé une
supériorité des supports dynamiques par rapport aux supports
statiques,
48,50,53
et l'une d'elles ne rapportait pas la signification
statistique.50 Une
étude comparant directement les supports dynamiques, statiques et
standards, n'a trouvé aucune différence entre les supports
dynamiques et statiques, mais a trouvé qu'ils étaient tous deux
supérieurs aux supports
standard.58 Dans
une ERC bien conduite incluant 1 972 patients en soins intensifs, Nixon et
coll60 n'ont
trouvé aucune différence dans l'incidence des escarres, lorsque
des surmatelas dynamiques étaient utilisés à la place de
matelas dynamiques. Bien que le coût d'un matelas soit supérieur
à celui d'un surmatelas, une étude économique
effectuée parallèlement a suggéré que les matelas
pourraient avoir un rapport coût-efficacité supérieur; ils
sont en outre plus convenables pour les patients que les
surmatelas.71
Trois ERC ont comparé des lits qui retournent le patient et le font
pivoter à des lits hospitaliers standards ou à des lits
d'unités de soins intensifs (USI)
standard.65-67
Les lits standards des USI n'étaient pas clairement décrits dans
ces études, mais ce sont généralement des supports
dynamiques. Les lits rotatifs ne présentaient aucune
supériorité dans la réduction de l'incidence des escarres
comparé aux lits standard des hôpitaux ou des
USI.65-67
Repositionnement. Le repositionnement des patients est un
élément fondamental dans la plupart des protocoles de
prévention des escarres, qui recommandent souvent un changement de
position toutes les 2 heures. L'objectif du repositionnement, notamment sur
les supports spécialisés, est de réduire ou
d'éliminer la pression d'interface, ce qui permet de maintenir la
microcirculation dans les zones à risque d'escarre. Nous n'avons pu
identifier que 2 études ayant spécifiquement
évalué des stratégies de
repositionnement.68,69
Ces études incluaient 884 participants (46 en soins intensifs et 838 en
SLD (Tableau 4).
Defloor et
coll68 ont
étudié l'effet de différentes combinaisons de
repositionnement dans une ECR de 4 semaines concernant 11 USLD. Ils ont
trouvé qu'un changement de position toutes les 4 heures, associé
à l'utilisation d'un matelas spécialisé en mousse,
réduisait significativement l'incidence des escarres comparé
à un repositionnement toutes les 2 heures sur des matelas hospitaliers
standards. Cependant, la méthodologie de cette étude comportait
des limites: aucune donnée n'indiquait que les patients étaient
randomisés en aveugle, l'aveugle des participants et des
évaluateurs était inapproprié, et aucune analyse en
intention de traiter n'a été effectuée. En outre, cette
étude ne comparait pas simplement différents schémas de
repositionnement, mais combinait différents schémas de
repositionnement avec des supports différents dans les 2groupes de
comparaison. Il est donc difficile de recommander de retourner les patients
toutes les 4 heures plutôt que toutes les 2 heures selon la
méthode standard, en se basant sur cette seule étude.
Une ERC a étudié l'efficacité de différentes
positions.69 Cette
petite étude, qui incluait 46 patients hospitalisés d'âge
avancé, a examiné la différence entre le décubitus
latéral oblique à 30° (avec placement des oreillers sous une
fesse et sous chaque jambe, de sorte que le sacrum et les talons ne soient pas
en contact avec la surface d'appui) versus position standard du
patient (décubitus latéral à 90°). Aucune
différence significative des critères d'évaluation n'a
été trouvée entre les 2 groupes.
Exercice et soins de l'incontinence. Les investigateurs d'une
étude70 ont
traité les facteurs de risque de l'immobilité et de
l'incontinence (fécale et urinaire) en examinant l'effet sur
l'état de la peau d'une stratégie combinant l'exercice et les
soins de l'incontinence (Tableau
4). Les personnes souffrant d'incontinence étaient
recrutées dans 4 centres. Dans le groupe intervention, l'équipe
de recherche clinique a fourni des soins de l'incontinence et des exercices, 2
heures par jour pendant 32 semaines. Le groupe témoin recevait des
soins habituels, administrés par le personnel de l'USLD. L'intervention
multifactorielle n'a pas réduit l'incidence des escarres par rapport
aux soins
habituels.70
Qualité des ECR évaluant la déficience motrice.
La qualité des 51 ECR ayant étudié les déficiences
motrices était généralement sous-optimale
(Tableaux 1,
2,
3 and
4). Sur ces 51 études,
25 (49,0 %) décrivaient correctement la méthode utilisée
pour générer les séquences de randomisation, et seulement
14 (27,4 %) donnaient des informations indiquant que les patients
étaient randomisés en aveugle. Le simple aveugle était
inadéquat, mais cette procédure est probablement difficilement
applicable dans les études où les interventions concernent des
supports, le repositionnement des patients, ou l'exercice et les soins de
l'incontinence. Nous n'avons donc pas inclus de notation pour les
critères CLEAR NPT concernant l'adéquation du simple aveugle
dans les Tableaux 1 et
2. Cependant, il est parfois possible d'avoir un évaluateur
aveugle, mais cela n'a été décrit que dans 10 (19,6 %)
des 51 études. Les calendriers de suivi dans les groupes
étudiés étaient cohérents dans 40 (78,4 %) des 51
études. Des analyses en intention de traiter ont été
effectuées dans 14 (27,4 %) des 51 études. Seules 3 (6,3 %) des
48 études évaluant le rôle des supports ont rempli
l'ensemble des 5 critères applicables sélectionnés dans
la grille CLEAR
NPT.24,28,69
Sur ces 3 études, 2 étaient de petite taille, l'une ayant un
échantillon de 32 patients,
24 et l'autre
n'ayant recruté que 46
patients.69 La
petite taille d'échantillon constituait une limite potentielle de
nombreuses études; le nombre moyen de participants était de 226
(étendue, 11-1 972). Les participants des ECR représentaient des
populations hétérogènes (incluant des patients de
services de médecine générale et d'oncologie, ainsi que
de différentes sous-spécialités de la chirurgie,
notamment d'orthopédie, de chirurgie vasculaire et de chirurgie
cardio-thoracique).
Interventions ciblant les carences nutritionnelles. Cinq ERC
portaient sur la carence nutritionnelle et incluaient un total de 1 475
patients: 974 (66,0 %) en soins intensifs et 501 (34,0 %) en SLD
(Tableau
5).72-76
La durée du suivi variait de 14 à 182 jours. L'intervention pour
les 5 ERC consistait en supplémentation nutritionnelle.
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Tableau 5.. Études contrôlées randomisées évaluant des stratégies de traitement de la carence nutritionnelle (simple aveugle possible) pour réduire l'incidence des escarres.
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Bien que la relation entre l'apport alimentaire et la prévention des
escarres soit souvent postulée, elle est fondée sur des
données limitées. La seule ERC à trouver un effet
bénéfique de la supplémentation nutritionnelle a
été menée par Bourdel-Marchasson et
coll.73 Elle
constituait également la plus grande et la mieux conduite des
études relatives à la carence nutritionnelle, ce qui
suggère que les études plus petites peuvent avoir
rapporté des résultats négatifs en raison d'un manque de
puissance. L'étude de Bourdel-Marchasson et coll, qui portait sur 672
patients de plus de 65 ans, hospitalisés et dans un état
critique, comparait des régimes standards seuls à des
régimes standards plus 2 suppléments nutritionnels oraux par
jour. Les patients du groupe témoin avaient un risque relatif de
développement d'escarres de 1,57 (intervalle de confiance à 95
%, 1,30-2,38; p = 0,04) comparé à ceux du groupe de
traitement.73
Qualité des ECR portant sur la carence nutritionnelle.
Plusieurs limites méthodologiques majeures ont été
identifiées dans les 5 ECR ayant examiné l'efficacité de
la supplémentation nutritionnelle. Aucune de ces 5 études n'a
fourni d'informations indiquant que les patients étaient
randomisés en simple aveugle. Seule 1 étude a effectué un
aveugle adéquat des participants et des évaluateurs. Trois de
ces études présentaient un suivi cohérent entre les
groupes étudiés. Seule 1 étude a effectué une
analyse en intention de traiter. Aucune n'a rempli plus de 3 des 6
critères CLEAR NPT (Tableau
5).
Interventions portant sur les altérations cutanées.
Trois ECR ont étudié les altérations cutanées et
incluaient un total de 819 patients: 439 (53,6 %) en soins intensifs et 380
(46,4 %) en structures mixtes (Tableau
6).77-79
La durée du suivi variait de 21 à 30 jours.
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Tableau 6.. Études contrôlées randomisées évaluant les méthodes de traitement des altérations cutanées (simple aveugle possible) pour réduire l'incidence des escarres.
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La sécheresse cutanée de la région sacrée est
un facteur de risque connu de développement
d'escarres.12 Ces 3
ECR ont évalué des agents topiques spécifiques, mais
aucune n'a évalué de traitement par simple hydratation de la
peau.
Torri i Bou et
coll77 ont
comparé les effets d'une préparation d'acide gras
hyperoxygénée à ceux d'un traitement placebo. Les acides
gras sont supposés protéger contre la friction et la pression,
et réduire l'hyperprolifération épidermique. Dans cette
étude, l'incidence des escarres était de 7,32? dans le groupe
traité versus 17,37 % dans le groupe placebo (p
0,006). Van der Cammen et
coll78 ont
émis l'hypothèse que l'application topique de nicotinate pouvait
améliorer la vascularisation sous-cutanée, mais n'ont
trouvé aucun bénéfice de son application comparée
à une lotion contenant de l'hexachlorophène, du squalène
et de l'allantoïne. Green et
coll79 ont
suggéré que l'hexachlorophène pouvait agir en tant que
bactéricide et que l'allantoïne pouvait stimuler la
prolifération cellulaire et le développement tissulaire. Ils ont
suggéré qu'une lotion contenant de l'hexachlorophène, du
squalène et de l'allantoïne était supérieure
à une simple crème hydratante, mais n'ont pas rapporté la
signification statistique de ce résultat.
Qualité des ECR évaluant l'altération
cutanée. La méthodologie des 3 ECR ayant
étudié l'état de la peau comportait des limites, bien que
ces études aient toutes répondu au critère du double
aveugle. Aucune des 3 études n'a donné d'information indiquant
que les patients étaient randomisés en aveugle. Une étude
présentait une bonne cohérence dans le suivi entre les groupes.
Aucune étude n'a effectué d'analyse en intention de traiter, et
aucune n'a rempli plus de 3 des 6 critères CLEAR NPT.
COMMENTAIRES
Nous avons identifié 59 ECR évaluant des interventions visant
à prévenir les escarres. Notre revue suggère que la
méthodologie des études de prévention des escarres est
globalement sous-optimale, bien que des études plus récentes
aient présenté des améliorations dans la qualité
méthodologique.24,28,60,71
Dans les études sur la prévention des escarres, il n'est parfois
pas possible d'effectuer une procédure de simple aveugle; d'autres
aspects de ce type d'études peuvent également être
difficiles à standardiser. Pour traiter ces points, nous avons
utilisé des recommandations développées
spécifiquement pour évaluer la qualité des études
non pharmacologiques (CLEAR
NPT).16 Seules 3
des 59 ECR de cette revue ont rempli tous les critères que nous avons
sélectionnés dans la grille CLEAR
NPT.24,28,69
Sur les 59 études, 43 (72,3 %) avaient eu lieu dans des
unités de soins intensifs, ce qui semble approprié, compte tenu
du fait que la majorité des escarres (60 %) se développent au
cours des hospitalisations en soins
intensifs.9
Les études analysées étaient
généralement courtes, et les suivis variaient de 1 à 224
jours. Bien que les escarres puissent se constituer en 2 à 6 heures,
une augmentation de leur incidence a été observée avec la
prolongation du séjour en SLD, qui se poursuit pendant au moins 2
ans.80 Si quelques
jours ou quelques semaines de suivi peuvent être suffisants pour les
patients présentant des facteurs de risque réversibles (patients
en relativement bonne santé, en soins périopératoires par
exemple), les patients avec une immobilité de durée
indéfinie (paraplégie, notamment) peuvent nécessiter un
suivi plus long.
Comment les cliniciens peuvent-ils au mieux prévenir les escarres en se basant sur les données disponibles?
Les surmatelas posés sur les tables d'opération peuvent
réduire l'incidence des escarres
postopératoires.28
Cependant, pour les malades hospitalisés, le choix peut être
différent. Bien que les matelas dynamiques soient initialement plus
chers que les surmatelas dynamiques, les patients hospitalisés
préfèrent les matelas, qui peuvent en outre présenter un
rapport coût-efficacité supérieur à long
terme.60,71
Les surmatelas spécialisés en mousse et en peau de mouton
réduisent l'incidence des escarres comparé aux matelas
hospitaliers
standard.22,23,32-34,36,40
Le choix à effectuer entre les supports dynamiques et statiques
comme les supports spécialisés en mousse ou en peau de mouton
n'est pas clair, dans la mesure où peu d'ECR, parmi celles ayant
comparé ces interventions, ont montré des différences
dans les
résultats.46-59
Le coût pourrait constituer un facteur de décision majeur.
Une ECR a démontré que l'utilisation de suppléments
nutritionnels pouvait être bénéfique dans la
prévention des escarres, bien que le type de constituant alimentaire
conférant la meilleure protection n'ait pas été
déterminé.73
Il semble judicieux de recommander la consultation d'un
diététicien aux patients à risque de développer
des escarres, afin de garantir un apport alimentaire globalement
adapté.
La sécheresse cutanée sacrée est connue pour
être un facteur de risque de développement d'escarres.
L'hydratation de la peau étant une opération peu coûteuse
et peu susceptible de nuire, elle constituerait une bonne stratégie
à appliquer dans la prévention des escarres. La
supériorité en termes de bénéfice et de rapport
coût-efficacité des agents topiques spécifiques sur les
simples crèmes hydratantes n'a pas été
déterminée.77-79
Études futures
Il existe une disparité entre la forte prévalence et les
coûts élevés associés aux escarres et la
quantité d'études de bonne qualité axées sur leur
prévention. La majorité des ECR que nous avons revues portaient
sur l'utilisation de supports, bien qu'ils soient souvent parmi les
traitements les plus chers à appliquer. Le coût des supports
varie considérablement, de moins de 100 dollars pour certains types de
mousse à plus de 30 000 dollars pour certains lits
spécialisés.81
Compte tenu du lourd travail représenté par les soins infirmiers
et des coûts associés à ces divers produits, un travail
considérable doit encore être effectué pour
déterminer clairement le rapport coût-efficacité global
des traitements préventifs des escarres ainsi que leur utilisation
adéquate, afin d'affecter ces coûts au traitement des patients
les plus susceptibles d'en tirer profit. De récentes études ont
commencé à examiner, dans les règles, le rapport
coût-efficacité dans ce
domaine.71,82
Les études futures devront également tenter de définir
les interventions requises pour prévenir les escarres dans les
populations à haut risque. Les facteurs de risque de
développement des escarres incluent le confinement au lit ou au
fauteuil, l'impossibilité de changer de position sans assistance, la
déambulation difficile, les antécédents d'AVC,
l'incontinence fécale (qui est fortement corrélée
à l'immobilité), le faible poids corporel, la
lymphopénie, la difficulté à s'alimenter seul, la
réduction des apports nutritionnels, l'érythème
persistant au point d'appui sur une peau intacte (comme une escarre de stade
1), et la sécheresse cutanée
sacrée.1,3,12,83-87
L'âge avancé n'a pas été identifié comme un
facteur de risque indépendant d'escarres. Les résultats
négatifs de certaines études pourraient refléter un
ciblage inapproprié des traitements. Ainsi, les suppléments
nutritionnels pourraient être d'un intérêt limité
chez des individus ne souffrant pas de dénutrition. Les
stratégies destinées à réduire les escarres
devraient viser les patients à haut risque, et les interventions
ciblées être utilisées chez les patients présentant
des déficiences dans le domaine spécifique
étudié.
Outre l'analyse de ces stratégies ciblées, les études
futures sur la prévention des escarres pourraient tirer avantage de
leur considération d'un point de vue gériatrique. Les syndromes
gériatriques, comme les chutes et l'incontinence urinaire, tendent
à se développer lorsque les mécanismes compensateurs sont
compromis par l'effet cumulé de déficiences
multiples.88 Dans
le cas présent, la comorbidité avec les déficiences
motrices, nutritionnelles, et l'altération cutanée, conduit
souvent au développement d'escarres. Des interventions
multifactorielles délivrées par une équipe
multidisciplinaire pourraient donc se révéler efficaces dans la
prévention de ces lésions, comme les interventions
utilisées dans la prévention d'autres syndromes
gériatriques.89
Bien qu'il puisse parfois être impossible d'effectuer une
procédure de simple aveugle dans les études portant sur des
traitements utilisant des supports, des changements de position, ou impliquant
des exercices et des soins de l'incontinence, il est souvent possible d'avoir
un évaluateur aveugle. Cela est notamment le cas dans les études
se déroulant dans les blocs opératoires (parce que
l'évaluateur aveugle peut effectuer une évaluation
immédiatement après le transfert du patient sur un autre
support), incluant des patients relativement faciles à déplacer
(pouvant être transférés d'un support à un autre
pendant les évaluations), et évaluant certains surmatelas et
coussins. L'aveugle des évaluateurs est particulièrement
difficile à observer dans les études de supports dynamiques
(dont le fonctionnement électrique génère des mouvements
ou des bruits) ou dans le cas de patients au stade terminal d'une maladie, qui
ne peuvent pas être déplacés sans risque sur un autre
support, pour les évaluations.
Plusieurs recommandations pour la prévention des escarres ont
été
élaborées.90-92
Malheureusement, de nombreux médecins et infirmiers s'estiment peu
compétents dans cette prise en charge, ce qui suggère que les
recommandations n'atteignent pas le public
visé.93,94
Des ressources plus efficaces devraient être employées à
la transcription des connaissances apportées par les données
disponibles. Les recommandations seules risquent de ne pas avoir
l'efficacité
escomptée.95,96
En outre, de nouvelles ECR bien conduites, conformes à des
critères standards établis pour le rapport des études non
pharmacologiques (comme la check-list CLEAR NPT)
16 seraient
nécessaires. Des comparaisons directes des interventions les plus
prometteuses seraient également nécessaires pour
déterminer les stratégies les plus efficaces.
Limites
L'une des limites de notre revue réside dans le fait que le compte
rendu incomplet des ECR peut avoir influencé notre évaluation.
Cependant, les données disponibles suggèrent que ce qui est
rapporté des principales caractéristiques d'une étude
reflète généralement ce qui est réellement
effectué.97,98
Nous avons évalué la qualité des études en
utilisant des critères sélectionnés dans une check-list
précédemment mise au
point.16 Nous
pensons avoir utilisé les composantes majeures de cette liste. Il
existe cependant plusieurs manières de définir la qualité
d'une
étude.18,99
Une étude récente a porté sa réflexion sur deux
questions fondamentales, à savoir quelles composantes d'une
évaluation qualitative sont prédictives de résultats
valables et quel type de grille offre la meilleure évaluation
qualitative. Malgré les nombreuses échelles de qualité et
grilles d'évaluation disponibles, la meilleure approche reste
indéterminée.99-101
Pour éviter d'effectuer une notation qualitative arbitraire, nous avons
simplement noté si les différents critères de la
check-list étaient rapportés dans les ECR que nous avons
analysées.
CONCLUSIONS
La qualité méthodologique des ECR évaluant les
stratégies de prévention des escarres est sous-optimale, mais
elle fournit des informations utiles sur lesquelles baser des recommandations
pour prévenir efficacement cette pathologie fréquente. Les
interventions les plus prometteuses consistent notamment à utiliser des
supports adaptés (surmatelas sur tables d'opération, surmatelas
spécialisés en mousse et surmatelas spécialisés en
peau de mouton), d'équilibrer le statut nutritionnel, et d'hydrater la
peau de la région sacrée. Le changement de position est un
élément fondamental dans la prévention des escarres, mais
la supériorité de certaines stratégies par rapport
à d'autres n'est pas démontrée.
De nouvelles ECR bien conduites suivant des critères standards
établis pour le rapport des traitements non pharmacologiques sont
nécessaires. Compte tenu de
l'hétérogénéité des populations
étudiées dans les ECR que nous avons analysées, de
nouvelles études devraient notamment être réalisées
pour confirmer l'extrapolation de l'efficacité de ces interventions
à différentes populations de patients, dans différents
contextes. Un recueil prospectif de données sur le rapport
coût-efficacité fournirait en outre de précieuses
informations.
Informations sur les auteurs
Correspondance: Madhuri Reddy, MD, MSc, Hebrew Rehabilitation Center,
Department of Medicine, Boston, Mass 02131
(madhuri.reddy{at}sw.ca).
Lire aussi la page du Patient
Contributions des auteurs: le Dr Reddy a eu un accès complet
à toutes les données de l'étude et accepte la
responsabilité de l'intégrité des données et de
l'exactitude de l'analyse des données.
Conception et schema de l'étude; redaction du manuscrit:
Reddy, Rochon.
Recueil des données, analyse et interprétation des
données, analyse statistique: Reddy, Gill.
Revue critique du manuscrit: Reddy, Rochon, Gill.
Aide administrative, technique et matérielle: Gill.
Supervision de l'étude: Rochon.
Liens financiers: aucun rapporté.
Financement/Soutien: le Dr Rochon a bénéficié
du soutien d'une bourse du Canadian Institutes of Health Research Investigator
Award et d'une bourse ICE HOA-80075. Le Dr Gill a
bénéficié du soutien d'une bourse du Ontario Ministry of
Health and Long-Term Care Career Scientist Award.
Rôle du sponsor: les organisations fondatrices n'ont
joué aucune rôle dans le schéma ou la conduite de
l'étude, dans le recueil, l'analyse ou l'interprétation des
données ou dans la préparation, la revue ou l'approbation du
manuscrit.
Remerciements: nous remercions Carvill Lo, BA, Clinical Research
Assistant, Women's College Hospital, Toronto, Ontario, pour son soutien
administrative. Ms Lo n'a reçu aucune compensation financière
pour son assistance.
Affiliations des auteurs: Divisions of Geriatric Medicine and
Dermatology (Dr Reddy), Department of Medicine (Drs Reddy et Rochon), et
Baycrest Kunin-Lunenfeld Applied Research Unit (Dr Rochon), University of
Toronto, Toronto, Ontario; Women's College Hospital, Toronto, and Hebrew
Rehabilitation Center, Boston, Mass (Dr Reddy); Institute for Clinical
Evaluative Sciences, Toronto (Drs Gill and Rochon); Division of Geriatric
Medicine, Departments of Medicine and Community Health and Epidemiology,
Queen's University, Kingston, Ontario (Dr Gill).
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