Contexte Le génocide de 1994 au Rwanda a
entraîné la perte d'au moins 10% des 7,7 millions d'habitants, la
destruction d'une grande partie de l'infrastructure du pays et le
déplacement de presque 4 millions de personnes. En cherchant à
rebâtir des sociétés comme celle du Rwanda, il est
important de comprendre comment une expérience traumatique peut former
la capacité des individus et des groupes à répondre
à des initiatives judiciaires et à une
réconciliation.
Objectifs Evaluer le niveau d'exposition à un traumatisme et
la prévalence des symptômes liés à un syndrome post
traumatique, leurs facteurs prédictifs chez les Rwandais, et
déterminer comment l'exposition à un traumatisme et à un
stress post traumatique sont associés au comportement envers la justice
et une réconciliation.
Schéma, environnement et participants Enquête à
plusieurs niveaux, stratifiée par groupes, de mode aléatoire,
chez 2091 adultes éligibles dans des foyers sélectionnés
de 4 communes au Rwanda en février 2002.
Principaux critères de jugement Taux d'exposition au
traumatisme et symptômes caractéristiques d'un stress post
traumatique en utilisant la version PTSD Checklist-Civilian;
positions par rapport à une procédure judiciaire (procès
nationaux et à l'échelle locale au Rwanda et Tribunal
Pénal International pour le Rwanda [ICTR]) et à une
réconciliation (croyance en la communauté, non violence, justice
sociale et interdépendance avec d'autres groupes ethniques).
Résultats Parmi les 2 074 répondeurs ayant des
données concernant une exposition à un trauma, 1 563 (75,4%)
avaient été forcés de fuir leur habitation, 1 526 (73,0
%) avaient eu un membre proche de leur famille tué et 1 472 (70,9 %)
avaient eu leur propriété détruite ou perdue. Chez les 2
091 participants au total, 518 (24,8 %) répondaient aux symptômes
de stress post traumatique. L'odds ratio ajusté (OR) de réponse
aux symptômes de stress post traumatique pour chaque
événement traumatique supplémentaire était de 1,43
(IC 95 %: 1,33-1,55). Les répondeurs étaient plus favorables
à une procédure judiciaire locale (90,8 % étaient
favorables aux procès gacaca et 67,8 % aux tribunaux rwandais à
l'échelle nationale) qu'au ICTR (42,1 %). Les répondeurs qui
avaient les caractéristiques symptomatiques de stress post traumatique
avaient moins de probabilité d'adopter une attitude positive envers les
tribunaux nationaux rwandais (OR: 0,77; IC 95 %: 0,61-0,98), de croire en leur
communauté (OR: 0.,76; IC 95 %: 0,60-0,97) et à une
interdépendance avec d'autres groupes ethniques (OR: 0,71; IC 95 %:
0,56-0,90). Les répondeurs ayant de multiples événements
traumatiques avaient plus de probabilité de se montrer positifs envers
le ICTR (OR: 1,10; IC 95%: 1,04-1,17) et moins de probabilité
d'être favorables aux tribunaux nationaux rwandais (OR: 0,90; IC 95 %:
0,84-0,96) et aux tribunaux locaux gacaca (OR: 0,80; IC 95 %: 0,72-0,89) et
aux trois facteurs d'ouverture en faveur d'une réconciliation: foi en
la non violence (OR: 0,92; IC 95 %: 0,87-0,97), foi dans la communauté
(OR: 0,92; IC 95 %: 0,87-0,98) et interdépendance avec d'autres groupes
ethniques (OR: 0,86; IC 95 %: 0,81-0,92). Les autres variables
associées à une position en faveur de procédures
judiciaires et en faveur d'une réconciliation étaient le niveau
d'éducation, l'ethnie, la perception d'une modification du niveau de
pauvreté, l'accès à la sécurité par rapport
à 1994 et la distance ethnique.
Conclusions Cette étude démontre qu'une exposition
traumatique, des symptômes de stress post traumatique et d'autres
facteurs sont associés à une position favorable à la
justice et la réconciliation. Les interventions sociétales
à la suite de violence de masse doivent prendre en compte les effets du
traumatisme si une réconciliation doit être envisagée.
JAMA. 2004;292:602-612.